Mulready – Suite Europe, Grande-Bretagne, Pays G-N

Une

Les Mulready n’ont pas rencontré un succès immense, loin s’en faut… Suite et fin de cette étude.

 

Lorsqu’ils mettent sur le marché lettres et enveloppes, les officiels, Hill et Baring en tête, se congratulent et s’extasient sur le chef-d’œuvre de Mulready.

Henry Cole, pour son compte, semble moins enthousiaste. Quant au public, l’accueil qu’il réserve à ces productions est pour le moins catastrophique. L’allégorie ne semble pas avoir été comprise. Le ton général oscille entre la critique acerbe et l’ironie délirante. L’unanimité se fait très vite contre le dessin de Mulready et de nombreuses caricatures traînent rapidement dans la boue cette œuvre qui devait « diffuser un goût pour les beaux-arts »… La malice politique s’en mêle: les Mulready sont un sous produit d’une réforme postale mise en place par un gouvernement whig. Les tories sont au premier rang des détracteurs. Le courrier des lecteurs du Times leur ouvre largement ses colonnes. On ne critique pas la réforme, difficilement contournable, mais, dès le 2 mai, on se rattrape sur les à-côtés…

01Fig. 1. – Caricature de John Leech.

02Fig. 2 – Enveloppe humoristique signée Hume.

Voici une caricature de John Leech (1), datée du dimanche 31 mai 1840. On connaît la même, postée dès le 2 mai… Voici une enveloppe comique de Hume, moins connue (2), postée le 10 juillet.

03Fig. 3 – Fores a édité dix enveloppes différentes.

Il y en a une série de six. L’une porte deux Penny Black. Le port de l’autre a été payé en numéraire. Ces productions, qui ne sont pas officielles (c’est le moins qu’on puisse dire !), doivent être affranchies. Cette enveloppe de Fores (3), postée sans timbre, a été taxée de 2 d. Fores a édité dix enveloppes différentes. Spooner en a publié quatorze, etc.

 

Une collection marginale

La collection des caricatures de Mulready est très intéressante, mais délicate. On rencontre plus de faux et de réimpressions que de pièces originales. La Mulready elle-même, tant décriée, a fait l’objet de copies et d’imitations. On peut citer l’enveloppe du « Whitaker’s Almanack », qui a circulé dans les années 1870 et 1880. Rowland Hill, qui suit au jour le jour l’avancement de sa réforme, en a le moral singulièrement refroidi. Mais il n’est pas homme à se laisser abattre.

04Fig. 4. – Les Mulready sont remplacées par des enveloppes estampillées.

Dès le 12 mai 1840, il note dans son journal : « Je crains que nous ne soyons obligés de substituer quelque autre timbre à celui dessiné par Mulready, qui est dénigré et ridiculisé de tous côtés. » L’enveloppe à 1 d est retirée de la vente en janvier 1841, celle à 2 d en avril de la même année. Elles sont remplacées par des enveloppes portant des timbres estampillés en relief (4), gravés par William Wyon.

Ces timbres étaient prévus à l’origine pour être apposés sur des lettres ou enveloppes apportées par le public. Mais, avec le contretemps des Mulready, le service des objets « timbrés sur commande » ne sera mis en place qu’en 1 855.

Les feuilles-lettres sont remplacées en 1844 par du papier portant le timbre à 1 d de Wyon. Lettres et enveloppes utilisent aussi un papier à fils de soie, toujours fabriqué par John Dickinson.

Hill avait misé sur les enveloppes beaucoup plus que sur les timbres. Le public l’a pris à contrepied. Les Mulready invendues sont distribuées aux administrations, à la place du Penny Black « VR » prévu initialement et qui ne sera pas émis. Mais les stocks sont énormes. En 1862, on décide de détruire ce qui reste. Edwin Hill, frère de Rowland, doit même construire une machine pour en venir à bout…

Retirées de la vente, les Mulready ne sont pas démonétisées pour autant. Voici une lettre à 2 d de 1846, avec une paire de 1 d brun rouge supplémentaires. Postée à Crawley (Sussex, N°228), elle porte une taxe de 4 d. Est-ce pour un port de 2 à 3 onces, ou les 2 d de la Mulready ont-ils été considérés comme non valables par un postier mal renseigné ?

05Fig.5.- Les Mulready restent d’un usage confidentiel… même les postiers ne savent pas qu’en faire.

L’habitude de leur emploi se perd cependant. Un postier de Bath, sans doute jeune dans le métier, ne sachant comment la prendre, a constellé de son « numeral » 53 cette autre Mulready à 2 d (5).

Beaucoup plus tard, en 1886, J. W. Palmer, négociant en timbres sur le Strand, s’envoie à lui-même, du bureau de poste de Charing·Cross, un certain nombre de Mulready qu’il a en réserve. Elles lui arrivent, taxées à 2 d. Fort de son bon droit, il se présente au postmaster du West Central District, qui annule les taxes en confirmant la validité postale des documents. En fait, les Mulready ne seront démonétisées que sous le règne de George VI, en 1945, en même temps que les timbres de Victoria et que ceux d’Edouard VII.

06Fig.6. – « Pictorial envelopes » ici, pour un bal de la reine.

Les Mulready et leurs caricatures ont lancé la vogue des « pictorial envelopes », enveloppes ornées de gravures ou de dessins. Ces derniers peuvent être purement décoratifs, comme sur cette enveloppe « Victoria Albert » (6). On suppose qu’elle a été créée en 1840 ou 1841 pour envoyer des invitations à un bal de la reine, au château de Holyrood, en Ecosse.

07Fig.7. – Humour, décoration ou propagande.

Innombrables sont les sujets de propagande : contre l’alcoolisme, contre des projets de lois, contre le clergé, contre l’esclavage, contre la guerre (7), enveloppe de Valentine’s, en faveur de la paix, expédiée d’Allemagne en 1873…). Beaucoup sont émises pour réclamer l' »Ocean Penny Postage », c’est-à-dire une poste uniforme à 1 d pour les échanges au sein de l’empire britannique. Cette patiente campagne aboutira en 1898.

La célèbre firme Valentine’s, de Dundee, est un grand pourvoyeur de ces enveloppes de propagande, comme celle-ci, qui a été postée à Orléans en 1873, ou cette autre, adressée à Arthur Maury, bien connu des philatélistes français.

Célèbre malgré tout

Décriée et passée de mode, la Mulready n’est pas oubliée par tout le monde. La première manifestation du Jubilé de la poste uniforme à un penny est un dîner organisé le 15 janvier 1890, pour trois cents personnalités du Post Office. Le carton d’invitation, daté du 10 janvier, date anniversaire, porte le dessin de Mulready.

08Fig. 8 – Dans l’esprit de la Mulready…

09Fig. 9 – Gare aux imitations… (ici de William Elliott)…

10Fig. 10 – … ou de Harry Furniss.

Le 2 juillet de la même année, toujours dans le cadre du jubilé, le GPO émet une enveloppe commémorative, avec une carte, dans l’esprit de la Mulready (8). Celle-ci sera aussi copiée et caricaturée. Mais le cœur n’y est plus : il n’y a que deux productions pirates, une imitation par William Elliott (9) et une caricature par Harry Furniss (10). L’Exposition philatélique de Londres de 1897 émet une vignette qui est une réduction du célèbre motif (11). Celle de 1950 illustre avec une Mulready une carte commémorative… imprimée par « John Dickinson » – la firme existe toujours…

11Fig. 11 – Un hommage tardif en 1897, sous forme de reproduction en réduction sur un vignette.

12

Fig. 12 – Aérogramme émis en 1879 avec médaille de Wyon.

On en retrouve un dernier souvenir, avec la médaille de Wyon, la croix de Malte et les deux premiers timbres de 1 d, sur un aérogramme émis en 1979 (12), à l’occasion du centenaire de la mort de Sir Rowland Hill (il a été anobli par la reine en 1860)

 

Paru dans Le Monde des Philatélistes n° 442 – Juin 1990

 

 

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