L’Histoire de l’unité italienne en neuf tableaux Europe, Italie, Pays G-N

Une

Certains timbres sont plus que des timbres, certaines enveloppes plus que des enveloppes : de véritables stars, à qui l’on a donné un nom propre et dont on retrouve périodiquement les photos dans les catalogues internationaux des grandes ventes aux enchères. De telles pièces, les anciens Etats italiens en comptent peut-être plus que tout autre pays, et les collectionneurs de Rome, Turin ou Palerme leur vouent un attachement qui dépasse le cadre de la philatélie : en plus de leur immense valeur, elles racontent presque jour par jour l’héroïque naissance d’une nation.

Négociant, éditeur de catalogues et de magazine, tout autant que grand collectionneur amoureux passionné du timbre, Alberto, Bolaffi n’a pas hésité à faire peindre les  »portraits » de quelques-unes des plus prestigieuses stars de la philatélie qu’il lui a été donné de rencontrer, en les resituant comme de véritables personnages historiques au milieu de leurs contemporains et des événements dont ils gardent le témoignage. Les tableaux sont signés ltalo Bongera ; le plus grand – Garibaldi et les émissions de Naples – mesure 2 m sur 3, les autres 1,50 m sur 2… En route pour une visite dans une galerie d’art philatélique vraiment hors du commun, qui donne à la collection des timbres et des enveloppes une dimension inhabituelle.

 

François-Joseph : L’Italie unie ? Pas question !

FJoseph

 

En 1859, le principal obstacle à l’unité, c’est lui : l’empereur d’Autriche-Hongrie
règne sur la Lombardo-Vénétie (tout le nord-­est de l’Italie)
et protège militairement ses alliés les ducs de Parme,
de Modène et le grand-duc de Toscane, farouchement attachés à leurs couronnes.

On le voit ici gardant « sous le coude » la seule lettre connue affranchie avec la première série
de Lombardo-Vénétie au grand complet : hormis leur faciale en centesimi, les timbres
sont rigoureusement identiques à ceux d’Autriche – en fait, seule la différence des monnaies
circulant dans les différentes parties de l’Empire a Justifié l’utilisation de timbres particuliers en Lombardo-Vénétie.

Dans le bas du tableau, la cathédrale de Milan, les arènes de Vérone et Venise,
qui toutes appartiennent à ses Etats.

 

Napoléon III s’en mêle

NapoleonLe 27 avril 1859, l’Autriche attaque le Piémont-­Sardaigne dont le roi Victor Emmanuel II (en haut à droite), ardent défenseur de l’unification, s’est assuré l’alliance de Napoléon III. De Montebello à Solferino, toutes les batailles tourneront à l’avantage des Franco­-Sardes. En juin 1859, celle de Magenta (en bas du tableau) leur ouvre les portes de Milan, capitale de Lombardo-Vénétie.

Conséquence philatélique immédiate : les timbres de l’administration autrichienne n’ont plus cours. Sur la lettre représentée ici, l’effigie de François-Joseph a été annulée à la plume d’un rageur « Non valevole », « non valable » tandis qu’un timbre de Sardaigne venait compléter l’affranchissement. Piémont-Sardaigne et la Lombardie conquise – la Vénétie demeurera autrichienne jusqu’en 1866 – forment alors le premier noyau de l’Italie nouvelle.

 

 

Partout où il le peut, le peuple choisit l’Italie unie

Peuple

Voici François V de Modène (à gauche) et la régente Marie-Louise de Parme accompagnés
des n°1 de leurs albums respectifs. Leur règne s’achève en 1859 :
l’annonce des victoires franco-sardes, des soulèvements populaires les ont contraints à la fuite.
Ce n’est pas la première fois, mais par le passé l’armée autrichienne les avait toujours rétablis sur leur trône…
Désormais, le vent a définitivement tourné. A leur détriment.

Le pape Pie IX (accoudé, en haut, sur « son » timbre le plus rare, le50 baiocchi « impression défectueuse » de 1864),
qui possède tout le centre de la Péninsule, ne s’y maintient que grâce à la protection de l’armée française.
Ce qui n’empêche pas une partie de ses Etats, dont la Romagne, de faire sécession :
l’émission dite « du gouvernement provisoire » (au centre, sur lettre) en garde la trace philatélique.
Quant au personnage du bas, c’est le gouverneur Carlo Farini qui, le 1er janvier 1860,
unifie par référendum Modène, Parme et Romagne : elles formeront la province d’Emilie du futur royaume d’Italie.

 

 

A l’assaut des Deux-Siciles

DeuxSicilesLeurs chemises rouges (à droite) en font évidemment des cibles idéales dans les batailles, mais lorsque leur chef Garibaldi (au centre) a dû vêtir le corps de volontaires internationaux qu’il a levé lui-même, il ne disposait de rien d’autre que de ce stock d’habits de travail acheté aux abattoirs de Buenos Aires, lors de son exil en Argentine. Au nom de l’unité italienne, ce républicain dans l’âme a accepté de se battre pour le roi de Sardaigne. En 1860, après plusieurs victoires sur les Autrichiens, il part conquérir la Sicile et les provinces napolitaines (royaume des Deux-Siciles) alors sous la terrible férule de Ferdinand II de Bourbon, surnommé « le roi Bomba » depuis qu’il a fait bombarder ses villes de Palerme et Messine révoltées.

Les timbres de ce tableau sont de véritables documents historiques. Au centre, le 1/2 grana rose de Naples, émis sous Ferdinand en 1858.

A gauche, le même en bleu, avec pour faciale un « T » cachant mal le « G » initial : suite à une diminution de tarif décidée par Garibaldi en novembre 1860, après la conquête de Naples, on a ainsi transformé les  »grana » en « torneso » – une petite monnaie qui vaut moitié moins. Une seule planche a été ainsi corrigée et n’a servi qu’une fois : d’où un tirage de cent exemplaires qui fait de ce 1/2 T le timbre le plus rare d’Italie. Nouvelle modification quelques semaines plus tard : cette fois, on efface les armoiries des Bourbon de Sicile pour les remplacer par la croix de Savoie, emblème de Victor-Emmanuel.

Le dessin initial n’a pourtant pas totalement disparu :·on le devine sous la nouvelle gravure.

 La France soutient l’Italie contre l’Autriche, mais protège Rome contre l’Italie

France

 

 

Le pape Pie IX a de quoi être- satisfait : il contemple – une feuille entière du 1 scudo de 1852,
la plus haute valeur de la première émission des Etats pontificaux, tandis que sa main gauche
repose nonchalamment sur un 20 baiocchi jaune qui n’est jamais passé par la Poste :
c’est le « non-émis » ‘le plus rare du monde (une feuille au musée du Vatican,
un seul exemplaire dans une collection particulière).
Derrière lui, une feuille du 3 centesimi de 1868 : la dentelure a fait son apparition…
mais l’Eglise va-bientôt cesser d’émettre.

 

 

 

La lettre du roi Farouk

FaroukUn épisode d’Histoire philatélique en marge de l’Histoire politique : cette lettre est l’une des trois seules connues portant le 3 lire jaune du gouvernement provisoire de Toscane (1860). Adressée en Egypte, elle figurait dans la collection personnelle du roi Farouk (au centre), fils de Fouad ! » (à gauche), créateur de la Poste égyptienne. Après l’instauration de la république par le général Néguib (à droite), la collection royale fut dispersée aux enchères. En 1992, la lettre de Toscane a été adjugée 648 180 $ (environ 3 300 000 F) lors d’une vente Bolaffi.

 Conquise d’assaut, Rome devient capitale

Conquise

Septembre 1870 : l’armée française, qui protégeait les Etats pontificaux depuis 1849,
est rappelée d’urgence en métropole pour cause de guerre avec l’Allemagne.
Les Italiens se jettent aussitôt à l’assaut de Rome, dont ils veulent faire leur capitale.
Voici les bersagliers perçant une brèche dans les remparts défendus vainement par les soldats du pape.
Pie IX se repliera dans son palais du Latran où il se considérera « prisonnier volontaire »…
non sans avoir au passage jeté l’anathème contre Victor-Emmanuel II (dernier roi d’Europe excommunié).
Mais l’essentiel n’est-il pas, pour l’ Italie, que Rome soit enfin devenue sa capitale ?
(Depuis 1865, Florence jouait ce rôle à titre provisoire.)

L’affranchissement mixte de novembre 1870 reproduit ici illustre ce moment historique :
deux timbres des ex-Etats de l’Eglise y côtoient une valeur italienne.

 

 

Tableau chronologique

Chronologie« Et l’Histoire ne s’arrête pas là », nous dit ce dernier tableau où se trouvent rassemblées les principales étapes de l’unification italienne : il faudra attendre encore quarante-huit ans, la fin de la Première Guerre mondiale et le démantèlement de l’empire austro-hongrois, pour que l’Italie, en annexant le Trentin et le Haut-Adige, prenne les frontières qu’on lui connaît aujourd’hui.

 Quand Victor (Emmanuel) se prenait pour Victoria

Victoria

 

 

 

Un sourire pour terminer : cet amusant tableau met en parallèle
le n°1 de Sardaigne et le premier timbre du monde,
le Black Penny d’Angleterre. L’on sait que le roi Victor-Emmanuel II
avait donné des indications très précises pour la réalisation
de sa première série : il ne fait aucun doute qu’il s’est inspiré
de l’effigie de la reine Victoria, en particulier dans le choix
de la couleur – le noir -et l’omission volontaire du nom du pays.

 

 

Paru dans Timbroscopie n° 124 – Mai 1995

L’Histoire de l’unité italienne en neuf tableaux
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