Et si le graveur des « Epaulettes » était anglais? Belgique, Europe

Une

Neuf ans après l’Angleterre et son « Penny Black », la Belgique émet son premier timbre-poste: c’est un portrait « en épaulettes » élu roi Léopold, premier du nom : visage émouvant de vie et superbe gravure. Mais une question subsiste: qui a gravé les « Epaulettes », comme les appellent familièrement les philatélistes belges ?

01A gauche, l’œuvre :  »l’Epaulette », premier timbre de Belgique. A droite, l’artiste « officiel »,
Jacques Wiener, à l’honneur sur l’émission belge de la Journée du timbre, le 13 avril 1987.
Prudente, la notice éditée par les Postes belges se garde d’attribuer
précisément à Wiener la gravure du timbre :
« l’épreuve du premier timbre belge fut approuvée en1848. Jacques et son frère en avaient gravé le projet
(et non le timbre lui-même, NDLR). C’est ainsi que les deux frères furent chargés
de la fourniture du matériel de fabrication. Par la suite, Jacques Wiener dirigea la production des timbres… »

Action : fin 1840, année de la sortie du « Penny Black », le gouvernement belge envoie un émissaire à Londres. Mission : y étudier la toute jeune réforme postale qui a donné naissance au premier timbre du monde. L’émissaire remet un rapport circonspect, qui est immédiatement enterré. Le 6 juillet 1848 (huit ans plus tard !), Frère Orban, alors ministre des Travaux Publics, écrit à Jacques Wiener, un graveur de médailles de renommée internationale, pour le charger de la réalisation du premier timbre belge.

A partir de là, les choses ne vont plus traîner : un mois plus tard, Wiener remet sa soumission au ministre Rolin qui entre-temps a pris le portefeuille de Frère Orban. Le 7 août, contrat signé. 28 septembre, remise du premier coin au type adopté. 28 octobre, approbation ministérielle. Les nos 1 et 2 de Belgique, « Epaulettes » 10 c brun et 20 c bleu clair, sont imprimés dans le courant de mai 1849. Mise en vente dès fin juin, validité à partir du premier juillet. Fin du premier acte.

Le second concerne une confusion qui allait faire couler autant d’encre que celle utilisée pour l’impression des timbres eux ­mêmes. Au départ, aucune ambiguïté : les premiers spécialistes belges de la question philatélique se sont accordés pour reconnaître en Jacques Wiener le graveur de l’Epaulette. Mais c’était aller un peu vite en besogne, même si Wiener jouissait d’un grande renommée. Car, qu’avait-on en main pour étayer cette thèse ? Deux simples essais remis par Wiener peu de temps après la signature du contrat. Essais refusés qui plus est. Représentant Léopold 1er sur fond d’entrelacs (comparable aux premiers timbres américains), ils sont de deux types: l’un, comme le « Penny Black », possède dans chaque coin inférieur, des cercles laissés vides pour contenir « les chiffres de contrôle et de série », comme le stipulaient les premières instructions ministérielles. L’autre type abandonne ces espaces vides.

Mais, que faisait Jacques Wiener ?

Quoiqu’il en soit, aucun des deux types ne sera adopté, car, même si la gravure était assez fine, le portrait manquait de vitalité. Par ailleurs, la paternité de Jacques Wiener sur ces deux projets est elle-même remise en question. Certains pensent, en effet, qu’ils pourraient être l’œuvre de son frère Léopold Wiener, car Jacques n’aurait pas eu le temps de les réaliser, même maladroitement. Le mystère s’épaissit…

Alors, que faisait Jacques Wiener entre-temps? Eh bien, ce qu’on lui avait demandé, c’est-à-dire la préparation de la fabrication des timbres. Et il n’avait pas une minute à perdre. Il est certain qu’il se rendit à Londres, au moins une fois, peut-être deux. Pourquoi Londres? Parce que les Anglais avaient déjà une solide expérience dans la facture des timbres. Et particulièrement la firme Perkins, Bacon and Co. chez qui Wiener se rend alors « en stage ». De là, Wiener expédie en Belgique le matériel destiné à la confection des timbres, des factures l’attestent. Et on est en droit de supposer que là aussi, il rencontra un certain J.-H. Robinson, graveur en taille-douce.

Mais que vient faire ce Robinson dans notre histoire ? En 1926, dans la fabuleuse collection du baron Georges Caroly, fils naturel du roi Léopold II, on découvrit des essais du type « Médaillon », celui qui a remplacé les Epaulettes trois mois après leur émission. L’un d’eux est un essai d’Epaulette retravaillé, avec inscriptions manuscrites en anglais. L’autre est tiré de la matrice des médaillons, au type adopté. Et que peut-on lire dans le coin inférieur droit de la matrice? « H. Robinson Sc. ». « Sc. »est l’abréviation de sculpsit, ce qui pour tout bon Anglais qui lit le latin signifie: « a gravé ». Pas de doutes : c’est bien Robinson qui a créé les Médaillons. Or, le portrait du roi sur ces Médaillons est identique à celui des Epaulettes (à l’exception des épaulettes absentes). Donc…

A joutons que le premier des Médaillons, le 40 c carmin rose a été mis en cours le 18 octobre 1849,c’est-à-dire trois mois après les Epaulettes… La proximité des dates semble donc confirmer que le graveur fut le même : Robinson.

La dernière découverte a verser au dossier date de 1945, année où un certain Maes trouve au Cabinet des Estampes de Bruxelles, un portrait du roi Léopold ressemblant à celui figurant sur les timbres. Il a été gravé par Robinson en… 1842, d’après une litho de 1841, exécutée par Charles Baugniet, portraitiste du roi. Résumons-nous : dessin initial de Baugniet, gravure de Robinson, que revient-il à Wiener dans la réalisation des premiers timbres belges ? Une vague paternité historique et technique…

Paru dans Timbroscopie n° 37 – Juin 1987

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