Masques et jeux d’alpage : quand le timbre célèbre les traditions populaires Europe, Suisse

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Des jeux de force ou d’adresse inconnus des étrangers ; des masques régionaux ressortis d’année en année pour les fêtes ; des instruments de musique jadis utilisés pour communiquer en montagne : la Suisse a gardé vivantes ses traditions populaires. Elle y a consacré de nombreux timbres, que nous vous présentons.

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Il est 6 heures du soir très précises, en ce lundi de Pâques. Toutes les corporations de Zürich, en costumes, sont rassemblées autour du lac après avoir défilé à cheval. La veille, la ville appartenait aux enfants. Mais voici venu le point culminant de la fête : on met le feu au bûcher, et soudain le «Böög», le Bonhomme Hiver, commence à brûler dans l’éclatement des fusées dont il est truffé. Le printemps est bien là : comme tous les ans, Zürich vient de célébrer son «Sechseläuten» (1) !

 

Pérennité des coutumes alpines

Du folklore dites-vous ? Pas seulement ! Ce n’est pas un hasard si la Suisse a consacré beaucoup de timbres à ses coutumes et ses activités traditionnelles. Ce phénomène est le reflet d’une réalité. La Suisse est restée longtemps un ensemble de cantons, aux traditions régionales profondément ancrées. D’autre part, comme ailleurs, mais peut­être plus qu’ailleurs, dans ce territoire de montagnes, les hommes se sont protégés des phénomènes naturels, des rigueurs de l’hiver, des difficultés de la vie quotidienne par des célébrations à caractère d’exorcisme. La religion chrétienne s’est souvent greffée sur les rites païens en infléchissant seulement leur signification.

Voilà pourquoi, dans ce pays célèbre pour ses banques, son chocolat, son efficacité, ses montres, son rôle de carrefour international politique et industriel, les fêtes et traditions ont la vie si dure. Chaque ville de Suisse se souvient, dans ses fêtes et ses jeux, qu’il n’y a pas si longtemps l’essentiel de sa population était rurale et montagnarde (actuellement, l’agriculture n’occupe plus que 10% des habitants).

 

Masques, tintamarres et fêtes de la Lumière

La période du Carnaval condense une bonne partie de ces fêtes. Entre la Saint­Sylvestre et le printemps, la Suisse est traversée de masques, réveillée par des tintamarres divers, sillonnée de cortèges illuminés. Les masques pour rappeler les esprits des ancêtres, le bruit pour faire fuir les menaces cachées, la lumière pour se défendre de l’hiver et le vaincre.

02-03Parmi les masques, les «Röllelibutzen» d’Altstätten sont célèbres (2). Ces masques a grelots très raffinés tournent leur propre élégance en dérision : munis d’énormes seringues, ils arrosent copieusement les spectateurs. Face à ces Arlequins vêtus de losanges d’étoffe et de grelots, les «Roitschäggata» du Loetschental (au Sud­Ouest du pays) ont une apparence beaucoup plus fruste: faits de bois et d’écorce, noircis à la fumée, ce sont les plus originaux de Suisse (3).

04A Bâle, pour le «Vogel Gryff» (4), les trois corporations les plus importantes du Petit-Bâle (les quartiers de la rive droite du Rhin) célèbrent leur fête en la personne de leurs écuyers : l’Oiseau Gryff, le Sauvage et le Lion. Ils se retrouvent à midi (le 13, le 20 ou le 27 du mois de janvier) et dansent au rythme des tambours. Auparavant, juché sur un radeau, le Sauvage a triomphalement descendu le Rhin. Là aussi, la danse des trois masques, recommencée à plusieurs reprises, est suivie en cortège par toute la ville.

05-07Pour lutter contre l’hiver, faisons la fête. Telle semble être la devise des cantons suisses. Il y a les «Sternsinger», de Bergün, déguisés en rois·mages (5). Les «Sylvesterklaüse» d’Herisau, des groupes costumés, coiffés de couvre-chefs rutilants faisant la quête dans un vacarme indescriptible (6), ou les «Achetringele» de Laupen, qui comptent parmi les orgies de bruits les plus délirantes du pays (7). Une façon de fêter la Saint­Sylvestre en fanfare.

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Les masques se retrouvent à d’autres moments de l’année. A Sursee, le 11 novembre, on célèbre l’oie de la Saint-Martin ou «Gans Abhauet» (8). Jadis objet de sacrifice, l’oie est devenue enjeu de concours. Elle est suspendue – déjà morte ! – au-dessus de la foule, place de l’Hôtel de Ville, à un fil qui doit être tranché d’un seul coup d’épée par l’un des concurrents. Mais ceux-ci ont les yeux bandés, sont revêtus d’un manteau rouge et… d’un grand masque solaire !

 

Défilés historiques et religieux

09Des costumes plutôt que des masques tiennent le haut du pavé dans deux autres fêtes célèbres, à caractère historique ou religieux cette fois. A Mendrisio, dans le Tessin, se déroulent deux processions, le Jeudi et le Vendredi-Saint, pour commémorer la Passion du Christ. Celle du jeudi (9) donne un exemple d’art dramatique primitif : naïveté, baroque et grotesque se mêlent dans cette représentation d’un chapitre de l’Histoire Sainte. Celle du vendredi, plus solennelle, est directement liturgique.

10Quant aux Genevois, ils cèdent à la fibre patriotique pour fêter «l’Escalade», en souvenir de l’attaque savoyarde manquée , la nuit du 11 au 12 décembre 1602. Là aussi, un grand cortège commémoratif, dont les participants sont vêtus de costumes d’époque, défile à travers la vieille ville. On peut y reconnaître la «Mère Royaume» qui versa le contenu bouillant d’une marmite sur la tête d’un assaillant (il avait réussi à pénétrer dans Genève !). De temps en temps, le défilé s’arrête pour écouter la «proclamation» de la victoire des citoyens vigilants, clamée par un hérault (10).

11Enfin, la Suisse a consacré deux timbres à la fête des Vignerons à Vevey (11). Il y a de quoi : cette fête exceptionnelle n’a lieu que tous les 25 ans (la demière s’est déroulée en 1977). Son origine remonte au XVIIème siècle : l’abbaye de Saint-Urbain, ancêtre de la Confrérie des Vignerons, organisait déjà à Vevey des «promenades» (défilés en musique et en chansons de tous les vignerons). Depuis, cette célébration a pris tellement d’importance que des professionnels des plus grands théâtres ou opéras européens sont chargés des costumes, de la direction artistique et de la mise en scène. Plus de 500.000 spectateurs ont assisté à la dernière ! Rendez-vous en 2002 pour la prochaine fête des vignerons.

Des jeux nés dans les alpages

12L’empreinte des traditions montagnardes se retrouve dans les jeux ou les instruments de musique spécifiques à la Suisse. Le lancer de drapeaux et le lancer de pierres sont nés dans les fêtes d’alpages (12). Le premier est un jeu d’adresse, le second une épreuve de force : il s’agit d’envoyer les plus grosses pierres le plus loin possible.

13Même origine pour le «Hornuss» (13), une sorte de hockey… dont les Suisses eux-mêmes reconnaissent que les règles sont très complexes ! Le premier texte attestant la pratique du Hornuss remonte à 1738 et relate un accident. Ce sport est aujourd’hui très répandu en Suisse , puisque la Fédération compte a l’heure actuelle 9.000 joueurs seniors et juniors pour 250 clubs environ.

14A ranger dans «l’héritage» alpin : le cor des Alpes, comme son nom l’indique ! Utilisé jadis pour communiquer de vallée en vallée – en particulier en cas d’attaque, selon des codes inconnus des assaillants -, il fait maintenant partie du folklore des fêtes aIpestres (14).

15Et comme toute fête populaire finit par des danses et des chansons, la Suisse a émis deux timbres sur le thème des danses folkloriques (15).

Bien sûr, tous ces timbres, modernes, ne s’envolent pas au sommet de la cote. Mais ne vous y fiez pas : dans un pays aussi remarquablement stable que la Suisse , même les timbres-poste sont des valeurs sûres. Leur cote augmente lentement mais sûrement… comme le franc de même nationalité. Une raison supplémentaire de s’intéresser de près aux vignettes helvétiques, intérêt culturel en prime.

Paru dans Timbroscopie n° 4 – Juin 1984

Masques et jeux d’alpage : quand le timbre célèbre les traditions populaires
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