Evacuation d’une île volcanique Autres spécialités, Thématiques

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Lors d’une éruption, il est indispensable d’évacuer la population vivant dans les zones à risque élevé. Le seul exemple historique d’évacuation totale d’une île pendant deux ans est celui de Tristan da Cunha (1961-1963), qui a été abondamment illustré par les timbres.

Les éruptions volcaniques font l’objet de très nombreuses représentations philatéliques. Par contre, leurs conséquences humaines, et notamment le devenir des populations vivant dans les zones exposées, sont beaucoup moins fréquemment illustrés. Une exception remarquable est celle de l’éruption intervenue sur l’île anglaise de Tristan da Cunha (Atlantique Sud) en 1961 : bien que mineure (aucune victime humaine, dégâts limités), elle entraîna l’évacuation totale – et initialement planifiée comme définitive – de l’île pendant deux ans. Les étapes de cet exode et du difficile retour au bercail d’une population qui s’adaptait mal à la vie en Grande-Bretagne sont exceptionnellement bien représentées au niveau de la riche production philatélique de Tristan da Cunha.

L’île habitée la plus isolée du monde

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Tristan da Cunha, à 2 000 km au sud de Sainte-Hélène dans l’Atlantique Sud 1, est considérée comme l’île habitée la plus isolée du monde. Proche de la dorsale médio-atlantique, elle se situe à 2 400 km de l’Afrique du Sud et à 3 400 km des côtes sud-américaines. C’est une île conique de 11 km de diamètre 2, qui culmine à 2 060 m, et représente le sommet émergé d’un grand volcan actif de point chaud, dont la base repose sur la croûte océanique atlantique à 3 500 m de profondeur. La zone sommitale de l’île est déserte ; ses 297 habitants regroupés en 80 familles (qui se partagent 8 patronymes seulement) vivent exclusivement dans la zone côtière nord de l’île, dans un village baptisé quelque peu pompeusement « Edinburgh of the Seven Seas » mais plus connu sous le nom de « The Settlement ». L’île n’est desservie que par des bateaux de pêche sud-africains qui y font escale 8 à 10 fois par an. Les deux îles voisines 3, Inaccessible et Nightingale, sont inhabitées.

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Ce groupe insulaire fut découvert en 1506 par le navigateur portugais Tristão da Cunha, qui n’y aborda pas mais laissa son nom (anglicisé ultérieurement en Tristan da Cunha) à l’île principale. Il fut visité épisodiquement par divers navires, mais sa cartographie demeura quelque peu fantaisiste 4 jusqu’au début du XIXe siècle. Il fut annexé par le Royaume-Uni en 1816, très probablement pour l’empêcher de servir de base à une éventuelle opération de libération de Napoléon, alors détenu à Sainte-Hélène. Une garnison réduite y fut donc installée et constitua le noyau de la population permanente (97 habitants en 1886) de Tristan, où les baleiniers faisaient parfois escale. L’ouverture du Canal de Suez aboutit à un isolement de plus en plus grand de l’île. La vie très calme de ses habitants ne fut jalonnée que par quelques événements exceptionnels, comme le naufrage catastrophique du canot de sauvetage de l’île en 1885 5 et 6, et le passage de l’expédition polaire de Shackleton et Rowett en 1921 7 et 8.

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Au niveau des ressources, la pêche à la baleine fut remplacée par celle de la langouste locale (Jasus tristani) 9, qui donna naissance à une industrie toujours florissante de nos jours 10. Avant que le volcan ne se signale à leur attention, les îliens vivaient paisiblement au sein d’une nature superbe riche en plantes endémiques 11, dont l’animal emblématique demeure le célèbre pingouin appelé gorfou sauteur (southern rockhopper) 12 et 13. Ils ne s’intéressaient guère aux curiosités minéralogiques de Tristan : cristaux de pyroxène des laves 14, d’aragonite dans leurs cavités 15, et de soufre près des anciennes fumerolles 16.

Un volcan modérément actif

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L’activité d’un point chaud situé à environ 400 km à l’est de la dorsale médio-atlantique a d’abord formé, depuis environ 18 millions d’années, l’île de Nightingale, puis l’île Inaccessible, et enfin Tristan da Cunha au cours des derniers trois millions d’années. Tristan est un stratovolcan typique, fait de couches alternées de coulées de lave et de dépôts de cendres et de ponces projetées par des explosions volcaniques 17 et 18. Ces dernières se produisent soit au niveau du cratère sommital 19 et 20, soit à celui de points de sortie périphériques qui sont appelés des cônes adventifs. Ceux-ci, très nombreux, sont répartis dans l’ensemble de l’île 17, mais ne sont habituellement actifs que lors d’une seule éruption. Avant celle de 1961, la seule enregistrée par l’histoire locale était celle de Stony Hill sur la côte sud de l’île, qui mit en place un cône de scories et une coulée de lave noirâtre au cours des années 1750.

L’éruption de 1961-1962 et l’évacuation de l’île

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Une crise sismique, qui débuta au mois d’août 1961, fut suivie le 9 octobre par l’ouverture d’une fissure à proximité immédiate du village, entre celui-ci et l’usine de traitement des langoustes. Le lendemain 10 octobre, un dôme de lave visqueuse (appelé « tholoïde » en géologie) issu de cette fracture se mit en place à 300 m seulement du village, émettant des gaz et des cendres 21 et 22. Il atteignit rapidement 100 m de hauteur ; entre le 20 et le 27 octobre il s’affaissa en partie, et une coulée de lave issue de la zone effondrée atteignit la côte sur environ 1 200 m de largeur, détruisant au passage l’usine et recouvrant les deux plages permettant l’accès le plus commode au village. Cette activité cessa en janvier 1962 ; elle fut suivie par la mise en place en février d’un second dôme à l’intérieur de la partie effondrée du premier 23. L’éruption proprement dite se termina à la mi-mars 1962, et seules les émissions de gaz (fumerolles) se poursuivirent pendant plusieurs mois. Aucune éruption n’a eu lieu depuis sur l’île proprement dite ; en 2004, une nouvelle crise sismique fut suivie d’une éruption sous-marine à 24 km au sud-est de celle-ci, et produisit des ponces flottantes qui furent recueillies par les pêcheurs de Tristan.

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L’éruption de 1961-1962 peut incontestablement être qualifiée de mineure, le volume de lave émis demeurant faible et aucune perte humaine n’étant à déplorer. Elle engendra cependant une réponse radicale de la part de la population et des autorités britanniques, réaction amplement justifiée par l’isolement de l’île, la difficulté des liaisons maritimes, la menace directe de destruction du village très proche du dôme, et l’absence sur place de scientifiques susceptibles de gérer la crise. Le 9 octobre, l’administrateur de l’île et les habitants décidèrent en commun d’abandonner le village pour se réfugier pendant la nuit dans des abris éloignés du site de l’éruption. Le lendemain 10 octobre, la population de Tristan (264 îliens et 26 « expatriés ») fut évacuée par les deux bateaux de pêche disponibles, le Tristania 24 et le Frances Repetto, sur l’île inhabitée de Nightingale. Le 11 octobre, après une nuit plutôt inconfortable, elle embarqua à bord d’un navire néerlandais, le Tjisadane 25 et 26, qui par chance avait une escale prévue à Tristan ce jour-là. Les évacués débarquèrent à Cape Town 27 le 16, puis furent transférés en Angleterre, où ils arrivèrent le 3 novembre à bord du Stirling Castle 28. Ils furent alors hébergés dans une base désaffectée de la Royal Air Force à Calshot près de Southampton, où ils passèrent le dur hiver 1961-1962 dans des conditions assez précaires.

Les étapes du retour (1962-1963)

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La Royal Society décida dès novembre 1961 de financer une expédition scientifique pour étudier le déroulement de l’éruption et ses effets. Une courte escale du HMS Jaguar 29 ayant conclu à l’absence de danger imminent dans la zone de l’éruption, une équipe de 12 personnes, comprenant quatre volcanologues expérimentés (P.E. Baker, I.G. Gass, P.G. Harris, R.W. Le Maitre) et deux îliens, débarqua 30 à Tristan le 29 janvier 1962. Elle y passa près de deux mois avant de réembarquer le 20 mars à bord du HMS Protector 31, ce qui permit aux volcanologues de disposer d’un hélicoptère 32 pendant la dernière partie de leur mission. Ils assistèrent à la fin de l’éruption, et estimèrent en conséquence que le retour de la population était scientifiquement envisageable.

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Dans l’esprit du gouvernement britannique, l’évacuation de Tristan était définitive. Néanmoins, les nombreuses difficultés d’adaptation des ex-îliens à la société de consommation occidentale des années 1960 les conduisirent à demeurer groupés et solidaires, puis à envisager leur retour, qu’ils demandèrent de façon de plus en plus insistante après avoir pris connaissance des conclusions de la Royal Society. Ils obtinrent l’envoi d’une nouvelle équipe 33 comportant 12 îliens, qui visita Tristan en septembre-octobre 1962 afin d’évaluer les conditions possibles de ce retour. Elle aboutit à un avis positif 34 en dépit de la dégradation du village abandonné, et revint en Grande-Bretagne à bord du HMS Puma 35.

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Après de nombreuses péripéties administratives incluant un vote qui approuva massivement le retour (148 pour, 5 contre), une première vague de 51 habitants arriva sur l’île le 9 avril 1963 pour entreprendre la remise en état du village et la récupération des animaux domestiques abandonnés devenus sauvages. Enfin, le reste de la population, soit 198 îliens, embarqua sur le ferry danois Bornholm 36 le 24 octobre 1963, quittant Southampton sans regrets 37 et 38. Ils arrivèrent à Tristan 39 le 10 novembre, débarquèrent 40 et 41, récupérèrent leurs bagages 42 et 43, et firent promptement leurs adieux au navire qui les avait transportés 44 avant de se réadapter à la vie insulaire qui leur convenait le mieux.

Il est certes exceptionnel que les conséquences sociales d’un événement géologique somme toute mineur soient illustrées de façon aussi détaillée par les timbres.

Peut-être n’est-il pas inutile de préciser qu’après le commerce de la langouste, les émissions philatéliques représentent la seconde source de revenus extérieurs de Tristan da Cunha, qui permet entre autres le bon fonctionnement des services publics de l’île (santé, éducation)…

 

René Maury,
Professeur émérite à l’Université
de Bretagne Occidentale,
Laboratoire Domaines océaniques,
Membre de la Société philatélique de Rennes

Sylvain Blais,
Maître de Conférences à l’Université de Rennes I,
Géosciences Rennes,
Membre de la Société philatélique de Rennes

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