Des volcans si prodigues Autres spécialités, Thématiques

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Une éruption volcanique est en général perçue comme une catastrophe naturelle. C’est bien sûr fréquemment le cas, mais il ne faut pas oublier pour autant les bienfaits des volcans : créateurs de sols fertiles issus de l’altération des cendres ; fournisseurs de matériaux d’excellente qualité pour la construction et la sculpture ; principales sources d’or, de cuivre et de diamants ; réservoirs inépuisables d’énergie géothermique renouvelable et peu coûteuse, ainsi que d’eau chaude ; et enfin sites touristiques naturels de premier plan.

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Le volcanisme est généralement considéré comme un phénomène catastrophique, à l’origine de nombreuses pertes de vies humaines et de destructions de toutes sortes. Les éruptions volcaniques sont en effet redoutables, surtout dans les arcs insulaires comme les Philippines et l’Indonésie 2 où elles sont violemment explosives. Cependant, les cendres volcaniques s’altèrent très facilement sous un climat tropical, et les sols qui en dérivent produisent en conséquence, dans les régions exposées aux risques éruptifs, de riches récoltes de riz 3 et de canne à sucre 4 permettant de nourrir les populations. De même, si l’éruption explosive d’avril-mai 2010 de l’Eyjafjallajökull en Islande 5 a considérablement perturbé le trafic aérien européen, il ne faut pas oublier que la vie des Islandais serait bien plus difficile sans l’énergie géothermique bon marché associée à leurs volcans actifs. Ceux-ci sont en effet à l’origine de leur électricité, de leur chauffage, et aussi de leurs nombreuses cultures sous serres 6. Le volcan n’est donc pas toujours un destructeur, il est également un bienfaiteur, source de matériaux de construction, d’importantes ressources minérales (pierres précieuses et métaux comme l’or et le cuivre), et bien sûr d’énergie (géothermie, sources chaudes et thermalisme). Enfin, le volcanisme crée de superbes paysages, qui comptent parmi les grandes attractions touristiques mondiales.

Outils, matériaux de construction et sculptures

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Les roches volcaniques sont en général très résistantes à l’altération mais se débitent ou se sculptent parfois assez facilement. Tout naturellement, elles ont compté parmi les premiers matériaux utilisés par l’homme pour la fabrication d’outils. En particulier, l’obsidienne, rhyolite vitreuse très tranchante, fut un matériel de choix pour la confection de bifaces 7, de lames et de pointes 8 abondamment utilisées par de nombreuses civilisations préhistoriques et par les cultures américaines précolombiennes. De même, les basaltes, durs et homogènes, ont été taillés en pilons, lames d’herminettes 9 et autres outils depuis la préhistoire jusqu’aux temps modernes dans les îles volcaniques du Pacifique Sud. L’analyse chimique des lames en obsidienne européennes et des herminettes polynésiennes démontre que certains de ces outils ont été transportés sur plus de 1 000 km depuis leurs lieux de taille ; ils faisaient donc l’objet d’échanges très importants dont les raisons, sociologiques ou religieuses, sont encore mal comprises.

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Les roches volcaniques ont également été beaucoup utilisées en tant que matériaux de construction. Les tunnels de lave et les abris sous coulée ont certes servi de refuge contre les intempéries depuis des temps immémoriaux, et jusqu’au XVIIIe siècle à Pitcairn pour les mutins de la Bounty 10. Les motivations religieuses ont conduit à sculpter directement dans la masse des coulées basaltiques pour construire les temples d’Ajanta et Ellora en Inde et les églises de Lalibela en Ethiopie 11 (XIIe siècle), ainsi que les temples et églises troglodytes dans les brèches volcaniques plus tendres de nombreuses régions du monde (comme en Cappadoce en Turquie). Le débit en prismes hexagonaux réguliers, parfois appelés « orgues », des basaltes, tels ceux de la Chaussée des Géants en Irlande 12, d’Arménie 13, de Bohême 14, et bien entendu du Massif Central français, a intrigué les premiers géologues qui le comparaient à des formes cristallines. Ces prismes, produits lors du refroidissement des coulées fluides, fournissent des matériaux « pré-taillés » et très résistants pour la construction, qui furent largement utilisés pour le revêtement des voies romaines. Le refroidissement des phonolites, plus visqueuses, forme des prismes de plus grande taille 15. Ceux-ci se débitent en lames parallèles ou « lauzes », qui servirent pendant des siècles à revêtir les toits des constructions en Auvergne. Plus récemment, les scories des cônes stromboliens ont été largement utilisées pour l’empierrement des routes, à tel point qu’il fallut au milieu du siècle dernier protéger des volcans célèbres de la Chaîne des Puys 16 de leur destruction consécutive à l’ouverture inopportune de carrières…

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Les roches volcaniques sont d’excellents matériaux, adaptés aux constructions simples comme les ponts des îles Féroé 17 ou plus complexes comme le château de Dunluce en Irlande 18, installé sur un promontoire basaltique prolongeant la Chaussée des Géants ; ou bien encore la ville ancienne de Salers 19 dans le Cantal, avec ses murs de brèches volcaniques et ses toits de lauzes phonolitiques. En raison de leur très grande résistance à l’altération, les pierres et les sculptures de la cathédrale de Clermont-Ferrand 20, où fut célébré le mariage du fils de saint Louis, sont remarquablement conservées, de même que celles du temple de Borobudur 21 à Java (IXe siècle). Constructions et sculptures sont indissociables, comme le montre l’extraordinaire ensemble de pyramides et de bâtiments couverts de bas-reliefs de Teotihuacan au Mexique 22, édifiés en andésite du Ier au Ve siècle de notre ère. Innombrables sont d’ailleurs les sculptures en roches volcaniques, qu’il s’agisse de dieux aztèques en basalte soigneusement poli 23, de « tiki » polynésiens en basalte 24 ou en brèche volcanique rougeâtre 25, ou encore des « moai » de l’île de Pâques, impressionnantes statues 26, 27 taillées dans un tuf volcanique tendre. Les sculptures des calvaires bretons de Guimiliau 28 et de Plougastel-Daoulas sont elles aussi taillées dans une roche magmatique, la kersantite, refroidie lentement dans le substratum d’un volcan de l’ère primaire.

Or, cuivre et pierres précieuses

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Le volcanisme est responsable de l’arrivée en surface des diamants, qui sont les minéraux les plus profonds connus. En effet, ils se sont formés dans le manteau terrestre à plus de 150 km de profondeur, puis ont été incorporés sous forme d’enclaves dans une roche volcanique, la kimberlite 29, elle-même mise en place sous forme d’intrusions verticales ou « pipes » lors d’éruptions violemment explosives 30 qui l’ont fragmentée. Les diamants ont été exploités depuis environ six mille ans en Inde, dans la région mythique de Golconde, où ils se rencontrent remaniés dans des alluvions. La production de diamants a fortement augmenté et est devenue industrielle à la fin du XIXe siècle avec la prospection systématique des brèches kimberlitiques 31 de l’Afrique méridionale et centrale, de la Russie et plus récemment de l’Australie. De nombreuses autres pierres précieuses ou semi-précieuses sont elles aussi associées aux roches volcaniques : c’est le cas des olivines 32, qui sont les constituants principaux du manteau et sont incorporées sous forme d’enclave dans les basaltes qui dérivent de la fusion de celui-ci ; du sphène ou titanite, qui est un constituant normal de certaines laves 33 ; ou bien encore des opales 34 et des améthystes 35 qui résultent de dépôts de silice par les eaux chaudes dans les cavités des coulées ou le substratum des volcans.

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La plupart des ressources minières en cuivre et or sont également liées aux volcans. A Chypre, les minerais de cuivre sont associés aux basaltes de la croûte océanique fossile du Troodos 36, qui comporte des gisements hydrothermaux similaires à ceux de l’axe des dorsales actuelles. Ces minerais sont à l’origine de la richesse de l’île dans l’Antiquité, et en bonne partie du développement des premières civilisations grecques. Si l’or a autrefois été exploité dans les alluvions où il est remanié sous forme de pépites 37, les grandes ressources mondiales en or et en cuivre se trouvent au contact des intrusions sous-jacentes aux grands volcans andésitiques, notamment dans les Andes 38, aux Philippines 39 et en Indonésie. Elles dérivent de la dissolution de l’or, du cuivre et de bien d’autres métaux des laves des arcs volcaniques par les fluides chauds émanant des intrusions en cours de refroidissement. En raison du prix élevé atteint par l’or (souvent associé à du cuivre en tant que « métal de base »), ces gisements comptent actuellement parmi les exploitations minières les plus rentables.

Géothermie et thermalisme

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La géothermie de haute température est la plus récemment développée des grandes ressources énergétiques de la planète. Le principe en est simple : un forage effectué dans la région d’un volcan actif 40 ou récent permet de récupérer de la vapeur d’eau sous pression alimentant des turbines électriques, ainsi que de l’eau chaude utilisable pour le chauffage industriel et domestique 41. Elle nécessite cependant une technologie complexe, très au point en Islande 42, pour réinjecter les eaux chaudes à la fin du processus d’extraction et pour éliminer les substances polluantes qu’elles déposent. Toutes les nations possédant des zones volcaniques actives développent la géothermie, productrice d’énergie renouvelable bon marché, par exemple aux Açores 43, en Turquie 44 et au Nicaragua 45. Elle induit également des ressources financières dérivées, qu’il s’agisse de cures thermales 46 ou bien d’attractions touristiques telles que la célèbre piscine géothermique du « Blue Lagoon » 47 en Islande. L’économie de ce dernier pays est ainsi très largement tributaire du volcanisme, tant pour la production énergétique 41 que le chauffage 42, la production alimentaire 6 et les revenus liés au tourisme.

Paysages volcaniques et tourisme

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Le volcanisme crée de magnifiques paysages, dont l’intérêt touristique et sportif est connu depuis longtemps, notamment dans le cas de l’Auvergne 48, 49 et de nombreux sites des Etats-Unis, tels que « Devil’s Tower » au Wyoming 50. Dans ce même Etat, le parc national du Yellowstone constitue un site absolument exceptionnel, tant pour l’observation des phénomènes associés au volcanisme comme les solfatares, les geysers tels que le « Vieux Fidèle » 51 et les sources chaudes que pour celle de la faune sauvage 52 qui y vit paisiblement. Dans le monde entier, les volcans actifs sont souvent choisis pour installer des parcs nationaux comme celui du Mont Rainier 53 dans les Montagnes Rocheuses, du volcan Villarrica au Chili 54 ou du Mont Egmont 55 en Nouvelle-Zélande, qui permettent de combiner activités sportives et visite de sites naturels remarquables. Chaque année, le Stromboli 56 et l’Etna 57 attirent de nombreux touristes désireux d’assister à une éruption. Si le Vésuve est quant à lui en sommeil depuis 1944, les villes romaines d’Herculanum et de Pompéi 58 qu’il a enfouies sous ses cendres représentent des éléments majeurs du patrimoine historique de l’Europe occidentale.

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Enfin, ni la visite touristique, ni l’exploitation des dépôts de cuivre, plomb et or des sources hydrothermales de l’axe des dorsales océaniques 59 ne sont d’actualité. Elles ne sont pas pour autant inutiles, car de nombreuses espèces de bactéries thermophiles, pour la plupart inconnues il y a vingt ans, sont associées à leurs riches faunes hydrothermales 60, et leur culture est en cours de mise au point. Certaines de ces bactéries sont dès à présent utilisées en recherche génétique, et d’autres pourront peut-être un jour servir à dépolluer des sites industriels.

René Maury,
Professeur émérite à l’Université de Bretagne occidentale,
Laboratoire Domaines océaniques
Membre de la Société philatélique de Rennes

Sylvain Blais,
Maître de conférences à l’Université Rennes-I,
Géosciences Rennes,
Membre de la Société philatélique de Rennes

Jacques-Marie Bardintzeff,
Professeur, Laboratoire de Pétrographie – Volcanologie,
Université Paris-Sud-Orsay et Université de Cergy-Pontoise.

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