Quand La Poste timbrifie ses serviteurs… Autres spécialités, Thématiques

Une

De Robert Paon, en 1479, à François Fillon, ils sont plus de cent quatre-vingt à s’être succédé aux fonctions de contrôleur général, surintendant, ministre ou secrétaire d’Etat chargés des Postes. Avec Jacques Marette, hommage est rendu à l’un d’eux. Bonne occasion d’évoquer ceux qui avaient déjà eu cet honneur-certains sont des plus pittoresques -, mais aussi ces autres postiers qui, à des titres divers, ont acquis le droit de figurer dans nos albums.

 Le temps des «grands commis»

louis XI : une poste pour lui tout seul

LouisXILouis XI n’est ni l’inventeur de la poste, ni, loin s’en faut, le premier roi à avoir utilisé des messagers à cheval, ou «chevaucheurs». Mais il a remis en vigueur un système qui fonctionnait déjà sous l’empire romain : les relais de poste. En 1479, il nomma un certain Robert Paon «controlleur (sic) des chevaucheurs», lui donnant pour mission de placer certains d’entre eux «en poste» : ces chevaucheurs-là ne chevauchaient plus mais devaient tenir en permanence des chevaux frais aux relais à la disposition des messagers royaux. Les relais étaient installés de sept lieues en sept lieues – Perrault s’en est souvenu dans son conte du Petit Poucet, où l’ogre est pourvu de «bottes de sept lieues» -, soit trente kilomètres environ. Ainsi, un courrier partant de Tours, résidence habituelle du roi, pouvait atteindre Amiens en vingt-quatre heures. Evidemment, ce service purement étatique n’était pas ouvert au public.

François de Tassis : service public et international

deTassisSeul étranger de cette galerie de portraits, il mérite bien sa place sur timbre de France et d’ailleurs (cinq autres pays d’Europe lui ont également rendu hommage).D’origine italienne, François de Tassis avait hérité de son père la charge de grand-maître des postes du royaume des Pays-Bas. A l’origine, il ne s’agissait encore que d’un service de courrier d’Etat.. François le fit prospérer et le diversifia : Non seulement il fit de la poste de Tour et Tassis le moyen de communication le plus fiable entre toutes les cours d’Europe occidentale, mais encore il l’ouvrit au public. Ainsi, le courrier du premier marchand venu serait acheminé avec autant de diligence que la lettre d’un empereur à un roi. Au début du XVIe siècle, les Tour et Tassis possédaient des relais aux Pays-Bas, en AIIemagne, en Autriche, en Italie et en Espagne. François 1er leur accorda l’autorisation d’en ouvrir en France en 1518. Ainsi naquit le premier service postal international réglementé du monde.

 

Fouquet Fouquet de La Varane : cuisinier, postier, entremetteur, héros et presque saint…

On a beau coup jasé, en1946, lorsque la Poste choisit ce personnage peu recommandable pour illustrer l’émission Journée du Timbre. Et pourtant…

Au début du XVIIe siècle, les chevaucheurs du roi ne se faisaient pas trop prier pour transporter – contre espèces sonnantes – le courrier des particuliers, ce qui était totalement illégal. Faisant sienne avant l’heure la sage maxime de Spinoza, Henri IV jugea que «Ce qu’on ne peut interdire, il faut nécessairement le permettre», et chargea son fidèle La Varane d’organiser le service postal royal officiellement ouvert au public.

Qui était ce La Varane (ou La Varenne) ? On le trouve tout d’abord intendant aux cuisines de Catherine de Navarre, puis il passe au service de son frère, le futur Henri IV, à qui il sauve la vie à la bataille d’Arques (1589). Du coup, voici le nouveau roi de France et son conseiller inséparables. Et les services postaux dont La Varane est chargé serviront souvent les aventures galantes d’Henri. Ce qui ne l’empêchera pas de se tirer brillamment de bien d’autres missions de confiance beaucoup plus sérieuses. Rêvant pour ses enfants de hautes distinctions religieuses, Fouquet de La Varane favorisa le retour des Jésuites en France et leur installation au collège de La Flèche, sa ville natale. C’est d’ailleurs là que son cœur repose aujourd’hui, à côté de celui d’Henri IV. Peu s’en fallut que les Jésuites, reconnaissants, obtiennent sa canonisation.

Louvois

Louvois : l’Etat, c’est lui

Dès son apparition sur la scène politique, il est question de poste. Fils de Michel Le Tellier, ministre de Louis XIV (qui lui laissera sa charge), Louvois a vingt-deux ans lorsqu’il se voit accorder par le roi «la permission d’établir entre les ports de Provence et d’Italie un service de communications régulières». De quoi amasser une coquette fortune allait en naître.

En 1667, il est ministre de la Guerre et l’année suivante, il cumule avec la surintendance générale des postes. Son énergie, sa force de travail, mais aussi sa dureté sont proverbiales : jamais les guerres de Louis XIV n’ont été aussi cruelles, les répressions aussi féroces qu’avec lui. Louvois organise tout, régente tout… Au point que certains historiens ont pu écrire – avec un peu d’exagération – que Louis XIV était le «ministre des signatures» de son gouvernement, n’ayant qu’à parapher les décisions de Louvois.

La poste lui doit beaucoup : il est le premier à avoir compris qu’un Etat centralisé ne pouvait laisser les communications en d’autres mains. Avec lui, les postes sont organisées avec la dernière rigueur et deviennent d’autant plus fiables… sauf, bien sûr, quand les raisons politiques s’en mêlent : le ministre ne s’est pas privé de faire retarder ou disparaître les courriers compromettants !

 

D’Argenson et Choiseul : des surintendants qui surveillent de haut

ArgensonCurieux choix que celui de ces personnages pour les Journées du Timbre 1949 et 1953. Certes, ils furent de grands ministres de Louis XV, mais la surintendance générale des postes n’était qu’une de leurs attributions parmi d’autres, et ils s’empressèrent de la déléguer-pour ne pas dire «revendre» ­ à des «fermiers généraux». Ils ont en grande partie dispersé ce que Louvois avait rassemblé. N’y a-t-il pas d’ailleurs quelque ironie à avoir timbrifié d’Argenson, dont la disgrâce provint d’une lettre signée de sa main – mais qu’il nia toujours avoir écrite-, lue par le «cabinet noir», la censure occulte qui s’exerçait sur le courrier au mépris de toute confidentialité des correspondances privées ? Et d’avoir représenté Choiseul avec une voiture de poste, alors que c’est sous son ministère que «coches, messageries et autres voitures publiques» furent détachés de la surintendance ?

ChoiseulSi, à l’époque de Louvois, le ministre faisait la politique du roi, sous Louis XV, les maîtresses du roi faisaient, et surtout défaisaient, les hommes politiques : d’Argenson dut sa disgrâce à madame de Pompadour, Choiseul à madame du Barry.

Turgot

 

 

Turgot : météorique et visionnaire

Après avoir été intendant en Limousin pendant treize années, Turgot fut nommé contrôleur général des finances par Louis XVI en 1774, surintendant général des postes en 1775… et congédié sèchement en 1776 ! Son tort : vouloir en finir avec les droits féodaux, les anciennes corporations et les impôts mal répartis qui paralysaient l’économie. Il se heurtait à trop d’intérêts en place pour réaliser ses projets, qui auraient peut-être permis à la France de faire l’économie d’une révolution et de quelques guerres.

Au cours de son bref passage «à la Poste», Turgot souhaita intégrer ce service dans son grand plan de réformes visant à regrouper sous l’autorité de l’Etat tous les secteurs des transports.

 

 

Lavalette

Lavalette : son évasion l’a rendu célèbre

En 1801, il était commissaire central du gouvernement chargé des postes. Trois ans plus tard, devenu comte d’empire, il en était le directeur général. Tâche énorme : il s’agissait d’assurer un service centralisé pour la France, ses départements conquis et ses Etats satellites, mais aussi ses armées en campagne. L’Europe entière ou peu s’en faut. Avec comme priorité absolue le service de empereur, qui voulait être informé de tout presque en temps réel. La principale création de Lavalette furent les «estafettes» : les dépêches officielles n’étaient plus acheminées sur tout le trajet par le même messager changeant de chevaux de relais en relais, mais par des postillons qui se transmettaient le courrier – d’où économie de fatigue, de sommeil, donc de temps. En huit jours, l’empereur avait la réponse à une lettre adressée à Milan : un record de rapidité pour l’époque.

Sa fidélité à Napoléon pendant les Cent Jours valut à Lavalette d’être condamné à mort après Waterloo, mais il s’échappa à la suite d’une rocambolesque évasion, sortant de la Conciergerie vêtu du costume de son épouse, venue lui rendre une ultime visite…

 

 

L’aventurier du timbre

Arago : dix mois pour une révolution

AragoC’était le 24 février 1848. Depuis la veille, la révolution tonnait dans la capitale. Etienne Arago, romancier, vaudevilliste et surtout publiciste d’opposition républicaine, quitta les locaux de son journal la Réforme, rue Jean-Jacques Rousseau, et à la tête de ses employés marcha sur l’Hôtel des Postes tout proche. Leur but : s’emparer des. fusils des gardes municipaux protégeant le bâtiment, ce qui s’accomplit sans difficulté ni violence… Et maintenant, que faire ? «Puisque nous occupons la Poste, gardons-la ! » pense Arago qui aussitôt harangue ses troupes : «Citoyens, les positions les plus périlleuses mais aussi les plus importantes en temps de révolution sont celles de préfet de police et de directeur général des postes. Par la première, on tient Paris ; par la seconde, on parle à tous les départements !»

Le voici donc qui force la porte du bureau du directeur en titre, lui déclare que la république le destitue et s’autoproclame son remplaçant.

Et voici par quel coup de force, de bluff et de hasard, devint directeur des postes celui que l’on peut considérer comme le vrai père du timbre de France. Car Etienne Arago se piqua au jeu. Le gouvernement mis en place après les journées révolutionnaires ne lui contesta pas la place dont il s’était emparé, et il fit tout pour s’en montrer digne : pendant plusieurs mois, il travailla à une réforme du système postal calquée sur le modèle anglais, avec simplification et unification des tarifs. Son œuvre connaîtrait son apothéose le 1er janvier 1849,avec l’émission des «Vrais» nos 1 et 2 de France : les Cérès noire à 20 c et 1 F vermillon. Mais Etienne Arago avait déjà quitté la Poste : déçu par l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte, qui ne correspondait pas à l’idée qu’il se faisait de la république, il avait démissionné le 21 décembre… et était reparti pour de nouvelles et non moins mouvementées aventures.

 

 Les Petites Postes

Raynouard

Raynouard de Villayer : même dans les couvents et les prisons

On ne sait pas grand chose Raynouard de Villayer. Pas même l’orthographe exacte de son nom à rallonge – à l’époque, les noms propre s n’en avaient pas -,que l’on trouve tantôt écrit «Renouard», tantôt «Vélayer», et lorsqu’elle voulut lui consacrer un timbre, en 1944, la Poste ne trouva pour l’illustrer qu’une de ses marques. Ajoutons à cela que la «Petite Poste» qu’il créa à Paris en 1653 avec permission royale périclita rapidement.

Et pourtant, on est redevable à ce visionnaire d’une invention qui influerait durablement sur notre mode de vie : la boîte aux lettres.

Au milieu du XVIIe siècle, les postes ne se chargeaient encore que du courrier d’une ville à l’autre et ne le distribuaient pas chez les particuliers. Raynouard créa une poste pour Paris intra muros. Les boîtes de la Petite Poste, relevées trois fois par jour, fleurirent aux coins des rues. Pour acquitter les frais, on achetait des billets de «port payé» vendus un sou au Palais, mais aussi par les tourières des couvents, les portiers des collèges et communautés religieuses, et même… les geôliers des prisons.

Si la remarquable initiative de Raynouard tourna court, c’est que, en termes de marketing moderne, il proposait un produit ne correspondant pas à sa cible. Sa Petite Poste visait essentiellement les particuliers n’ayant pas de valets – dont l’une des fonctions était de porter les messages -, pas de commis, pas d’apprentis… Bref, une partie de la population qui écrivait peu, généralement parce qu’elle ne savait pas.

 

Piarron de Chamousset : Petite Poste deviendra grande

Piarron

Allez donc savoir pourquoi ce qui ne marche pas à Paris fait florès à Londres. Alors même que la Petite Poste de Raynouard de Villayer s’étiolait jusqu’à disparaître, sa copie conforme prospérait dans la capitale britannique. Si bien qu’en 1759, un nommé Piarron de Chamousset tenta à son tour l’aventure à Paris, en s’inspirant non du modèle de Villayer – dont il ignorait jusqu’à l’existence – mais du modèle londonien qui n’en était pourtant qu’une adaptation. Et cette fois-ci, cela fut positif. D’autres postes urbaines apparurent à Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Nancy, Nantes, Rouen, Strasbourg…

Deux ans après sa création, la Petite Poste de Chamousset était une entreprise rentable. Le gouvernement la reprit à son compte, puis, en 1780, l’ensemble des postes urbaines fut intégré à la «Ferme générale». Un grand pas dans l’unification du service postal était accompli.

Magistrat, conseiller à la Cour des comptes, mais aussi médecin et philanthrope, Chamousset n’a même pas son nom sur ce timbre de 1961. On y voit pourtant l’une de ses créations dont la silhouette n’allait plus sortir de notre paysage : le facteur en uniforme bleu, portant sa sacoche imperméable.

 

 

Ces Postes qui mènent à tout

Baudot le physicien, Bachelard le philosophe

Ils ont pour point commun d’avoir commencé leur carrière aux PTT au grade très subalterne de «surnuméraire».Tous deux issus de milieux des plus modestes, l’Administration leur offrait la perspective d’un emploi stable.

BaudotLorsqu’il y entra, à vingt-quatre ans, Baudot avait passé son adolescence a travailler dans la petite ferme de ses parents et n’avait pas d’autre instruction que celle de l’école primaire. Mais c’était un génie de la mécanique et lorsqu’il eut en main un transmetteur télégraphique il ne pensa plus qu’à l’améliorer. En 1874, il inventa le télégraphe multiplicateur, longtemps en service dans de nombreux pays sous le nom de «transmetteur Baudot».

BachelardBachelard, lui, passa son baccalauréat dans l’espoir de gravir les échelons hiérarchiques à l’intérieur des PTT. Et cela lui donna le goût des études. Changement rapide d’administration, puisque à vingt-six ans il était professeur de philosophie à l’université. Il a laissé une œuvre importante – une quinzaine de volumes – sur les rapports entre la conscience humaine, le savoir et les sciences.

 

Estaunie

 

Estaunié, l’académicien

Lui, c’est tout à la fois le scientifique et le littéraire. Sorti de Polytechnique avec son diplôme d’ingénieur, il entra aux PTT où il fit toute sa carrière. Il en fut notamment directeur de l’Ecole professionnelle supérieure, ce qui lui permit d’insister sur la nécessaire culture générale que devaient acquérir les cadres, parallèlement à leurs compétences techniques. Mais Estaunié fut également un grand romancier psychologique classique, élu à l’Académie française en 1923. Son œuvre s’intéresse surtout aux aspects cachés de l’existence, aux sentiments qui ne se disent pas, aux douleurs muettes et à… l’incommunicabilité entre les êtres. Un comble pour l’homme qui a enrichi le vocabulaire français d’un mot très employé depuis : «télécommunications» !

 

 

 

 

Ministres des Postes… entre autres

Mandel et Lebas, les martyrs

LebasMandelOn sait que les maroquins gouvernementaux changent souvent de mains dans une république. Parmi d’autres fonctions ministérielles, Georges Mandel (de novembre 1934 à juin 1936 : c’est notamment sous sa responsabilité que parurent les premières séries à surtaxe «Pour les chômeurs intellectuels») et Jean-Baptiste Lebas (par deux fois, de juin 1937 à janvier 1938, puis en mars-avril 1938) s’occupèrent des Postes. Mais c’est surtout pour des vies politiques exemplaires et leur fin tragique – Mandel assassiné par la Milice, Lebas mort en déportation – qu’ils ont été timbrifiés.

 

Thomas

 

Thomas : le plus constant

Résistant et déporté lui aussi, Eugène Thomas eut la chance de revenir vivant de Buchenwald. Une première fois, brièvement, ministre des PTT de juin 1945 à janvier 1946, il le redevint de mai 1947 à février 1950, puis de février 1956 à janvier 1959, soit au total plus de six ans d’exercice sous onze gouvernements différents. Un record qui lui permit, au niveau technique, d’être à l’origine d’un développement sans précédent des télécommunications françaises (câble téléphonique coaxial, commutations automatiques) et au niveau humain de créer la très importante sous-direction du service social, très appréciée par les postiers.

 

 

 

 

Dans la tourmente

De la simple demoiselle des Postes au haut fonctionnaire

La Poste a réservé une large place – qu’il s méritent amplement – à ses morts pour la France. Les héros des Postes et communications sont à l’honneur.

KellerVoici donc Robert Keller, chef du Centre de relève des dérangements de Paris, qui organisa l’écoute clandestine des communications allemandes, mort à Bergen-Belsen peu avant la libération du camp.

MichelLevySimone Michel-Lévy, du Centre de recherches et contrôles techniques des PTT, qui installait les postes émetteurs de la Résistance en zone occupée, pendue au camp de Flossenburg.

MoutardierGaston Moutardier, directeur départemental des Postes de la Somme, qui fournit aux Alliés d’irremplaçables renseignements sur les installations téléphoniques ennemies et les rampes de lancement des V1, fusillé.

GateaudPaul Gateaud, receveur des Postes à Valence, qui, parmi d’autres missions de sabotage et de renseignement, assurait les liaisons entre Londres et les maquis, fusillé.

DebeaumarcheEdmond Debeaumarché, animateur du réseau Résistance PTT, qui, arrêté, supporta sans parler toutes les tortures et continua à lutter à l’intérieur du camp de Buchenwald. Après la guerre, il fut président de l’Union nationale des associations de déportés. Il était Grand Officier de la Légion d’honneur et Compagnon de la Libération.

Paru dans Timbroscopie n° 136 – Juin 1996

Quand La Poste timbrifie ses serviteurs…
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