Mustapha Kemal, père des Turcs Europe, Pays P-Z, Turquie

Une

Première partie : l’agonie d’un Empire

 Cinquante ans après sa mort, il apparaît encore sur la plupart des timbres courants de son pays. C’est dire les traces laissées dans l’histoire par « le père des Turcs » qui, sur les ruines de l’Empire ottoman, construisit la Turquie moderne.

01Mustapha Kemal en jeune officier au tout début de ce siècle (1) : parmi les centaines de timbres consacrés par son pays au père des Turcs, voici sa plus juvénile représentation. Le visage sévère, le regard dur du « Loup gris d’Angora » sont déjà là. Déjà forgé aussi le caractère entier, obstiné, brutal même de ce petit paysan de Salonique entré comme cadet dans la carrière militaire, sans prévenir sa famille, et surnommé « perfection » (Kemal) par un maître de mathématiques qui portait le même nom que lui – Mustapha Efendi – et voulait ainsi distinguer son protégé.

A l’époque de ce portrait, Kemal découvre les idées révolutionnaires qui agitent la jeunesse de son pays. L’Empire Ottoman se lézarde lentement mais inexorablement. L’agitation couve dans les Balkans. La pauvreté est extrême. Même l’armée est démunie.

Le jeune officier découvre la politique en adhérant à une société secrète déguisée en club d’études. La police du sultan Abdul Hamid l’arrête, et il doit à l’excellente appréciation de ses supérieurs d’échapper au peloton d’exécution et d’être affecté dans un régiment de cavalerie à Damas, aux confins de l’Empire, en Syrie encore ottomane.

021908 : la révolution arrache au vieux souverain une constitution, dont les timbres de l’époque marquent, par une inscription sur bandelette, la promulgation (2). Kemal est aux côtés des « Jeunes Turcs » qui ont ébranlé le sultan. Mais au second plan. Il lui manque le brillant, la parole facile, le pouvoir de séduction qui fait l’immense popularité du chef des révolutionnaires, Enver Pacha, qu’un soulèvement militaire porte au gouvernement en 1909, tandis que le sultan est déposé et remplacé par son frère, Mehmet V, dont les nouveaux timbres porteront, dès lors, l’effigie (3).

03Kemal n’approuve pas la politique d’Enver. Trop perméables aux influences étrangères, les Jeunes Turcs ont favorisé un rapprochement avec l’Allemagne, lancé un projet de chemin de fer Berlin­Byzance, confié au gouvernement du Kayser le soin de réorganiser l’armée ottomane.

 » Les grandes puissances prennent la Turquie à la gorge », tonne Kemal. Et sa haine des Allemands se double de celle des Anglais lorsque ceux-ci proclament unilatéralement la neutralité de I’Egypte, pourtant rattachée à l’Empire ottoman.

C’est dans le désert égyptien que le soldat au regard gris, promu quelques mois auparavant chef d’état-major de la Ille armée impériale, donne la mesure de son inépuisable vitalité de guerrier. Pendant un an, Kemal défend ses positions dans le désert, vivant au milieu de ses troupes, tenant tête aux Anglais puis aux Italiens, qui ont débarqué en Tripolitaine et menacent ce qui reste des possessions ottomanes sur les rives sud de la Méditerranée.

 Le Loup gris d’Angora est promu général

Kemal tient bon. Mais l’Empire est attaqué sur tos les fronts. En 1912, le Monténégro déclare la guerre à la Turquie. La Serbie, la Bulgarie et, l’ennemi de toujours, la Grèce, s’allient à la petite principauté. Ainsi, après les possessions africaines, celles d’Europe se soulèvent à leur tour et menacent le cœur historique de l’Empire : l’Anatolie. Visés en particulier par les attaques des pays balkaniques : les détroits – Dardanelles et Bosphore -, uniques voies d’accès à la Méditerranée depuis la mer Noire, point de jonction stratégique entre Europe et Asie, point névralgique aussi de la « Sublime Porte », puisque la capitale de l’Empire, Istanbul, est installée sur les rives du Bosphore.

Kemaldoit abandonner le front égyptien pour aller défendre Gallipoli, la presqu’île qui commande l’accès aux Dardanelles. Là encore, sa redoutable ardeur au combat s’avère vaine : alors qu’il vient de repousser la huitième attaque Bulgare, il apprend que son haut-commandement a entre-temps signé un armistice désastreux avec les forces balkaniques.

04-05C’est la Grande Guerre qui va révéler au peuple Turc la véritable dimension de son futur chef. Pendant que le leader des Jeunes Turcs, Enver, poursuit le rêve fou de construire un Empire panturc et part faire la guerre à la Russie, Kemal retourne à Gallipoli, pour y affronter non plus les Bulgares mais les Alliés franco-anglais. Promu pacha, c’est-à­dire général, il commande l’ensemble du front, toujours en première ligne, et réussit à clouer l’ennemi sur ses positions de départ, au prix de pertes considérables. Les Anglais finissent par se lasser et quittent la presqu’île. Kemal entre dans l’Histoire comme « le sauveur des Dardanelles ». Mais sur les timbres de l’époque, c’est le visage souriant du sultan qui apparaît à côté de la carte du détroit (4).Et ce sont d’anonymes soldats qui illustrent cette émission de guerre, représentant l’artillerie turque (5).

 Kemal, Fayçal et Lawrence d’Arabie

06-07Du front du Caucase, où il sauve Enver de la débâcle et enlève les villes de Bitlis et Monsh, au Levant, où il commande la VIIe armée de Palestine Kemal incarne l’acharnement du peuple turc à lutter contre son inexorable déclin. Mais l’heure du renouveau n’a pas encore sonné. En Syrie, les Anglais balayent les armées turques et leurs alliés allemands. La Royal Air Force fait de redoutables dégâts. La retraite de Kemal tourne à la débâcle, aggravée encore par les cavaliers arabes du prince Fayçal et de Lawrence d’Arabie qui entrent dans Damas en 1918, aux côtés du général britannique Allenby. La capitale syrienne était ottomane depuis quatre siècles. Désormais, les timbres « arabisants » de Turquie émis pendant la guerre – une sentinelle et une fontaine dans le désert (6 et 7) – appartiennent à la collection du passé…

0830 octobre 1918. La date apparaît en surcharge-anniversaire, un an plus tard (8) : c’est celle de l’armistice que le gouvernement du sultan (Mohamed VI) signe à Moudras avec les Alliés. C’est aussi le début de la révolte pour Kemal, qui n’accepte pas de voir son pays réduit à un lambeau de l’ancien Empire, occupé qui plus est par les puissances étrangères. Les Anglais mouillent dans le Bosphore et contrôlent la capitale, Istanbul. Les Français occupent la Cilicie, où ils émettent, quelques mois plus tard, des timbres spéciaux dont quelques-uns sont aujourd’hui fort rares. Et voilà que les Grecs débarquent à Smyrne pour y relever les troupes de l’Entente.

Une seule région échappe au contrôle allié : l’Anatolie, où se créent les premières organisations de résistance, alimentées en vivres et munitions par des associations secrètes qui pillent les dépôts des occupants dans les grandes villes et acheminent leur butin vers l’intérieur du pays.

Les Anglais demandent au sultan d’intervenir. L’agitation doit être d’autant plus matée que s’ouvre à Paris la conférence de la Paix, dont les conclusions pourraient bien amplifier la révolte turque.

Sur les conseils de son grand vizir, le sultan décide, à contrecœur, d’envoyer en Anatolie son meilleur officier : Kemal. La popularité du Loup gris est immense, et le souverain compte sur lui pour faire accepter aux Turcs humiliés par la guerre le démantèlement de l’Empire exigé par les vainqueurs.

Mais si le sultan pusillanime, préoccupé avant tout de se maintenir au pouvoir, quelqu’en soit le prix à payer, s’est résigné à la quasi-disparition de son Empire, le vainqueur des Dardanelles, lui, s’apprête à faire front. Et à déclencher le renouveau de son pays, reconstruit sur les ruines de l’ancien Empire.

 

Si la guerre avait bien tourné

Guerre1917 : les Allemands et les Turcs (dont Kemal) se battent au Proche-­Orient contre les Alliés, et cherchent à traverser le désert du Sinaï pour gagner l’Egypte. la Turquie s’apprête ainsi à rentrer en possession de son ancien territoire, sur lequel la Grande-Bretagne a imposé son protectorat.

Ce timbre, ainsi que sept autres au même type, devait célébrer l’amitié retrouvée entre les peuples turc et égyptien d’où les deux drapeaux. Il porte l’inscription « Villes et territoires conquis, armée islamique pour la libération de l’Egypte ».

Imprimée en grand secret à l’initiative des ministres de la Guerre et de l’Intérieur de Turquie, l’émission n’a jamais servi, la guerre ayant tourné au profit des Anglais. Avant que ceux-ci ne pénètrent dans Ghaza, où étaient entreposés les timbres, l’administration turque fit brûler tout le stock… sauf quelques survivants. Rarissimes.

 

Tirage : cent exemplaires

TirageLe buste de Mohammed V et la ville de El Arich, entre Ghaza et Port-Saïd : deux non-émis de 1918, connus à cent exemplaires. La mort du sultan et la perte par les Turcs de la ville du Sinaï expliquent qu’ils n’aient jamais vu le jour.

Ces deux timbres appartenaient à la même série que les types « g », »h », »i » et « h » du catalogue Yvert : quatre types qui ont tous été émis surchargés (n° 582 et suivants), à l’exception de cent exemplaires restés vierges et non émis eux aussi.

 

Cilicie: les vestiges de l’occupation française

APendant que Kemal combattait les Russes dans le Caucase, Anglais et Français négociaient déjà le partage du Proche-Orient. Dès la victoire des Alliés acquise, la France occupait, comme prévu, la Cilicie, une région d’Anatolie à la frontière syrienne.

Les timbres turcs jusqu’alors en usage recevaient une surcharge « Territoire Ennemi Occupé Cilicie » (A). Les Français surchargeaient ensuite des timbres de métropole, parmi lesquels les rarissimes n° 1 et 2 de Poste aérienne (B).

BPlus tard, c’est en Cilicie qu’allaient apparaître les premières traces philatéliques de la révolution kémalienne, avec cette surcharge en forme de cachet rectangulaire et « négatif » (C), utilisée à Féké, au nord d’Adana. Aléas de l’Histoire : les Turcs allaient surcharger leurs propres timbres, qui revenaient alors à leur propriétaire après la transition française.

CParu dans Timbroscopie n° 57 – Avril 1989

 

Mustapha Kemal, père des Turcs
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