Nationale 7, la route des vacances Autres spécialités, France, Monaco, Andorre, Thématiques

Une

Charles Trenet, en 1955, fait entrer dans la légende une route emblématique, la « route des vacances », ou « route bleue », la RN7.
« De toutes les routes de France d’Europe
Celle que j’préfère est celle qui conduit
En auto ou en auto-stop
Vers les rivages du Midi
Nationale Sept »
A l’époque, il s’agit en effet du chemin vers l’été, puisque la Nationale 7 relie Paris à Menton, à la frontière avec l’Italie, en traversant les paysages qui font la fierté de la France. Les automobilistes en vacances, de plus en plus nombreux à partir des années 1950, alors que la reconstruction porte ses fruits, croisent des paysages et des villages caractéristiques, dont nous allons retracer les formes et les couleurs à travers une large palette de timbres de France.

011 Arc de Triomphe d’Orange.

L’histoire de la Nationale 7 est ancienne, puisqu’elle s’inscrit dans l’héritage des postes royales, et surtout de la Via Agrippa romaine, qui formait un réseau de routes depuis Lyon, la capitale des Gaules. Astérix et Obélix empruntent d’ailleurs la ≪ VR VII ≫ dans Le tour de Gaule d’Astérix, publié en 1965… Le plus vibrant témoignage de ce passé, l’Arc de Triomphe d’Orange 1, est encore visible pour quiconque souhaitant abandonner l’autoroute pour se délecter de pouvoir prendre son temps le long de routes d’une époque où le chemin était au moins aussi important que la destination.

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Cette époque est restée gravée dans la mémoire collective comme les Trente Glorieuses, un âge de développement économique sans précédent après la fin de la guerre. La croissance économique soutenue sert alors à augmenter le niveau de vie des ménages, qui obtiennent en 1956 une troisième semaine de congés payés et qui sont de plus en plus nombreux à pouvoir se payer une voiture. La démocratisation du transport individuel, tirée par les ventes de 4L, de 2CV, de 404 ou de DS, fait des 996 kilomètres de la Nationale 7 la promesse pour tout le monde de profiter du soleil du Midi 2 et 3. On ne se presse pas par obsession de ≪ gagner du temps ≫, on prend le temps : les bords de la route des vacances s’étoffent de stations-service qui proposent une gamme touristique complète, car on doit s’y arrêter de nombreuses fois. Pour occuper les enfants, un nouveau jeu apparaît, inspiré par la longueur de la N7 : le mille bornes.

La route bleue défile

Puisqu’il s’agit de remonter le temps, nous allons remonter ces milles bornes dans le sens du Sud au Nord, qu’empruntaient les vacanciers pour retourner à Paris ou dans une autre ville de l’itinéraire légendaire. Trenet a très bien décrit ce qu’ils laissent derrière eux lorsque vient l’heure de prendre direction Paris :

« Le ciel d’été
Remplit nos cœurs de sa lucidité
Chasse les aigreurs et les acidités
Qui font l’malheur des grandes cités 
»

044 Vue de la vieille ville de Menton

055 Port de Nice

066 Centenaire du rattachement de Nice à la France

077 Croisette de Cannes

De fait, le soleil est associé aux villes et aux paysages méditerranéens qui s’étirent d’Aix-en-Provence à Menton 4 — en plus du ciel bleu et des citrons, comme nous l’enseigne le timbre de 2009 figurant cette dernière… De même que Nice 5, étape suivant Menton sur la route du retour des vacances, qui était française depuis un siècle pendant l’âge d’or de la N7, le comté ayant été rattaché à l’Empire en 1860 6. Ensuite, Cannes 7, sa croisette et son festival célèbre depuis la création de celui-ci en 1946. Le Var apporte aussi son lot de surprises et de découvertes naturelles et architecturales somptueuses, dans un écrin de chaleur ensoleillée.

088 Aix-en-Provence

On arrivera ensuite dans les Bouches-du-Rhône, et à la montagne Sainte-Victoire qui surplombe la célèbre et vénérable Aix, qui fut la capitale de la Provence 8. La Provence… Que de promesses colorées contient ce mot, peut être l’un des plus saturés d’images de la langue française. On a déjà mentionné Orange, et son Arc de Triomphe qui témoigne du passé de la Nationale 7, route des empereurs et des rois ; avant de l’atteindre, la promenade en voiture nous emmènera à Avignon – son pont, son palais des papes, et un autre festival, créé par Jean Vilar un an après celui de Cannes, en 1947, consacré au théâtre… Nature et culture au pays de la vigne et des oliviers, traversé par un ruban gris borné de 7. Les vacances sont un appel à collectionner les souvenirs, comme on collectionne les timbres, lucarnes où plonger pour « chasser les aigreurs et les acidités ».

099 Valence, où s’est tenu le 61e congrès des associations philatéliques en 1988

1010 Palais idéal du facteur Cheval

La prochaine grande étape le long de la Route bleue, c’est Montélimar et son château roman des Adhémar. Un peu plus au nord le long de l’axe méridien de la vallée du Rhône, on trouve Valence 9, cité gallo-romaine aujourd’hui la préfecture de la Drôme. A la croisée des chemins entre La Poste et cette route, c’est aussi dans ce département que la RN7 permet de découvrir un site curieux, construit à la fin du XIXe siècle : le palais idéal du facteur Cheval 10. Joseph Ferdinand Cheval, né en 1836, devient facteur en juillet 1867. Il fait à pied des tournées de plus de trente kilomètres dans les campagnes, avant que n’arrivent les véhicules à deux et à quatre roues qui révolutionnèrent l’espace. Il a donc le temps de rêver (autre point de jonction : la RN7 est aussi un lieu où l’imagination continue de jouer un grand rôle), et décide en 1879 de commencer la construction d’une œuvre architecturale avec des pierres qu’il récupère sur les bords des chemins. Après plus de trente ans de labeur patient, il a créé un des plus beaux exemples d’art naïf : le palais idéal, émanation instinctive de son imagination nourrie par les paysages de la région. Le facteur l’achève à l’âge de 77 ans, et trouve encore huit ans de travail supplémentaire pour créer son tombeau, classé monument historique, dans lequel il repose depuis 1924.

1111 Un timbre de 1980 rendant hommage à la gastronomie française…

1212 ainsi que l’émission Europa de 2005

1313 Vienne, en Isère

Reprenons la route et profitons-en pour faire une escale gastronomique 11 et 12. Les bords de la Nationale 7 sont en effet célèbres pour abriter des adresses phares de la cuisine française. Par exemple, à Vienne 13, en Isère, où l’on trouve l’un des premiers restaurants à avoir obtenu trois Etoiles du guide Michelin (créé en 1900) : La Pyramide, du nom du monument antique en forme d’obélisque qui occupait le cirque de cette cité gallo-romaine. Fernand Léger en devient le chef en 1925 et en fait le premier restaurant étoilé trois fois avec sa femme Mado en 1933. C’est l’une des adresses de haute gastronomie incontournables installées le long de la RN7, avec La Maison Pic de Valence, Les frères Troisgros à Roanne, et la Mère Brazier à Lyon. Le célèbre Paul Bocuse, dont on trouve le premier restaurant (éponyme) un peu plus au nord, près de Lyon également, a été formé à La Pyramide.

De Lugdunum  à Lutèce

1414 Théâtre antique de Fourvière pour le bimillénaire de Lyon

Lyon, l’ancienne capitale des Gaules, a toujours été une ville dynamique dans la vallée du Rhône. Il y a beaucoup à dire sur la troisième ville de France (près d’un demi-million d’habitants), et le centre de la deuxième aire urbaine (deux millions d’habitants) qui fut le cœur industriel de la région et demeure un espace vif de création. Pour rappeler son âge vénérable, un timbre a été émis en 1957, à l’époque où la N7 s’imposait comme l’axe principal de départ en vacances : Lyon soufflait alors sa deux millième bougie… 14

1515 La Nationale 7 traverse les régions viticoles de France

1616 Y compris le célèbre Beaujolais

Plus au nord, la route bleue atteint la belle Roanne sur les bords de la Loire. C’est ici que se trouve le restaurant des Frères Troisgros, en face de la gare. Maintenant, une rocade évite d’avoir à traverser la ville… Mais rappelons qu’il n’y a pas de gastronomie française sans vin de Bourgogne ou des pays de la Loire. Or, la Nationale 7 passe par ces régions viticoles qui font la renommée des produits français à travers le monde, en plus de la Bourgogne et de la Loire, il faut mentionner le Beaujolais. Avec modération, la route résonnera donc comme une invitation à déguster les créations rouges, rosées ou blanches des sols s’étalant de part et d’autre de la route. 15 et 16

1717 La Bourgogne, une région à l’histoire mouvementée. 5e centenaire
du rattachement au Royaume en 1977

Puis on traversera l’Allier avant de rejoindre la Bourgogne, aux paysages tranquilles qui offrent un esprit allégé du surpoids de la modernité, si l’on s’est donné la peine de prendre les petites routes ayant sur certains tronçons remplacé la RN7 (à cause de la concurrence de l’autoroute et des modifications territoriales, la route mythique a parfois disparu, ou changé de nom : D 2007 dans le Loiret, D 307 dans le Rhône, D 607 en Seine-et-Marne, ou encore D 907 dans la Nièvre, point où nous nous trouvons dans notre voyage). Les relations entre cette région et la royauté ont été pour le moins complexes avant que le duché ne soit rattaché à la couronne en 1477 17.

1818 L’église Notre-Dame de la Charité-sur-Loire, en Bourgogne

Parmi les nombreux monuments qu’ont à proposer les terres bourguignonnes, l’église Notre-Dame de la Charité-sur-Loire 18 est un bon exemple d’architecture romane, datant de l’âge d’or du mouvement monastique de Cluny — sa construction débute en 1052. Le prieuré met en formes solennelles les racines catholiques de la France, permettant ainsi de créer une alchimie subtile entre les différentes générations qui se succèdent, un équilibre entre souvenirs et légendes, entre la joie d’explorer le passé et de découvrir le futur. La Nationale 7 est un canal de ce voyage à travers les temps.

1919 Le pont-canal de Briare

A cent cinquante kilomètres de Paris au sud se trouve le pont-canal de Briare qui figure sur un timbre de 1990 dont le visuel permet de bien saisir l’originalité de cet ouvrage. Construit à la fin du XIXe siècle, il s’agit d’un pont métallique de près de 700 mètres au-dessus de la Loire qui permet aux embarcations de passer dans le canal latéral de la Loire 19. Il y a deux trottoirs de chaque côté, mais l’originalité est surtout qu’entre les deux se trouve un canal de six mètres de large! Gustave Eiffel a participé à sa conception. Les étapes suivantes seront alors Montargis et Nemours, deux charmantes communes où la Nationale 7 peut servir de prétexte à des découvertes inattendues.

20 2120 et 21 La forêt et le château de Fontainebleau

A quelques kilomètres de Paris, l’automobiliste, en 404 d’époque ou 306 moderne, arrive dans la mystérieuse forêt de Fontainebleau, connue pour ces formations rocheuses qui font la joie des amateurs d’escalade, tandis que les promeneurs apprécient le sable qui la tapisse, donnant un avant-goût des plages méditerranéennes moyennant un effort d’imagination pour entendre le bruit des vagues dans le bruissement des feuilles… Fontainebleau a donné son nom à la forêt, mais c’est aussi une commune qui vaut le détour, en particulier pour son château de style Renaissance qui fut une résidence des monarques de France depuis François Ier. Le parc et les jardins qui le ceignent offrent, à l’instar de ceux de Versailles, une image de la conception de la nature idéale dans l’esprit français. Ses nombreuses galeries et chambres sont autant de témoignages d’heures glorieuses de l’histoire de France. 20 et 21

L’une des premières communes que l’on traverse en quittant Paris pour suivre la route des vacances est Evry.

En bordure de la RN7 se trouve la plus grande pagode d’Europe, bouddhiste vietnamienne : la pagode Khánh-Anh dont la stupa mesure 18 mètres. C’est un signe de la diversité profonde du territoire que traverse la Nationale 7. Notons d’ailleurs au passage que la route est en fait internationale, car elle traverse un autre Etat. Petit, certes, puisqu’il s’agit de Monaco, mais il n’empêche que la route des vacances offre de voir du pays.

Sa soeur jumelle, la Nationale 6 qui lui est parallèle pendant un bout du chemin jusqu’à Lyon (elle était parfois préférée à la numéro 7), permet quant à elle de se rendre en Italie par la Savoie. Malgré les transformations qui l’ont affectée depuis l’ouverture de l’autoroute du Sud il y a une quarantaine d’années, la route bleue reste une aventure recelant de précieux panoramas.

2222 Le parvis de la cathédrale Notre-Dame de Paris
est le point zéro de la RN7

Enfin, nous voici Porte d’Italie, d’où part la route menant au soleil. La borne zéro se trouve à l’intérieur de Paris : c’est le parvis de la cathédrale Notre-Dame 22. Les mille kilomètres que nous venons de remonter ont transcendé le simple moyen de transport.

La Nationale 7 était devenue une fin en soi, lorsqu’elle incarnait à elle seule la promesse des vacances, traçant à travers les vallées de France le chemin de la mer. Et ce, à un moment historique teinté d’optimisme où vivre est un art — jusque dans les embouteillages fréquents sur certaines portions de la N7, où l’exotisme du vocabulaire rivalisait avec l’audace des formes des voitures.

 

Les collectionneurs de la route des vacances

EncadreNombreux sont les collectionneurs qui explorent aujourd’hui encore ces temps perdus. La Nationale 7 est devenue l’un des cœurs de la mode du « vintage » qui consiste à retrouver l’art de vivre des décennies 50 et 60 à travers la recherche des objets de l’époque, au premier rang desquels les mythiques voitures, si simples et robustes qu’elles roulent encore de nos jours (pour peu qu’on en prenne soin) — mais aussi, par exemple, les publicités murales consacrées à l’automobile, parfois des pépites visuelles. De même, les habits de l’époque sont retrouvés par les passionnés, et parfois même ré-imaginés par des créateurs. Une autre tendance consiste à camper à la façon des vacanciers de cette période, c’est le rétro-camping.

Alban Andreu

 

 

 

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