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Une

Avec le rail commence aussi l’histoire foisonnante de sa taxation.

01La taxation fiscale des titres de transport ferroviaires de marchandises occupe une place particulière en philatélie. Elle a été instituée en France, dès l’apparition des chemins de fer, par application du régime antérieur des lettres de voitures (décret du 13 août 1810). Elle s’est concrétisée durant cinquante ans par la frappe d’un timbre à l’extraordinaire de 35 c sur chaque document (1). Ce régime fut ensuite adapté, par l’ordonnance du 15 novembre 1846, au transport de marchandises.

Une nouvelle empreinte

02L’ordonnance de 1846 a prévu en son article 50 la possibilité de compléter la lettre de voiture d’un récépissé attestant la livraison. Initialement facultatif, il fut d’abord dispensé du timbrage. Puis il fut rendu obligatoire par le Cahier des charges des chemins de fer de 1847 « lorsque celui-ci (l’expéditeur) ne demandera pas de lettre de voiture ». La modification du tarif de dimension (loi du 2 juillet 1862) porta la taxation de la lettre de voiture, de 35 c à 50 c, ce qui se traduisit par le changement de l’empreinte fiscale apposée sur ce document (2).

Par la suite, les récépissés furent rendu obligatoires pour tous les envois, en application de la loi de finances du 1er mai 1863, en son article 10. Du moins leur taxation fut-elle simultanément abaissée à 20 c. pour ne pas alourdir exagérément le prix de revient des marchandises transportées par chemin de fer (Instruction no 22-52 du 18 juin 1863). A cet effet fut créée une empreinte fiscale spéciale de timbrage avec mention « Chemins de Fer 1 Récépissés ». Cette empreinte allait rester en vigueur jusqu’à la chute de l’Empire, en 1870, époque à laquelle l’Aigle impériale superposée au cartouche de la valeur fut retirée.

En ce qui concernait les lettres de voitures, le tarif à 50 c resta en vigueur jusqu’à la révision tarifaire d’août 1871.

03Comme la taxation des récépissés s’étendait aux envois originaires de l’étranger, la pratique du timbrage à l’extraordinaire de cette catégorie de documents était malaisée. C’est pourquoi il fut décidé par décret du 2 janvier 1864 de créer un timbre mobile pour réaliser plus commodément ce type de taxation. C’est ainsi que vit le jour, en mai 1864 (Instruction du 16 mai) le premier timbre mobile pour les récépissés de chemins de fer de provenance étrangère (3). Ce timbre (Yv. n° 1), le 20 c bleu, est dû à Oudiné. Il a été émis avec ou sans gomme. Il est peu commun neuf et très rare en multiples.

04Son oblitération, qui était apposée par les Douanes, a consisté en un cachet hexagonal horizontal « Bon / pour récépissé/ N°… » (N° de gare ou de poste douanier). Outre une épreuve en noir sur feuillet des essais de ce timbre, avec burelage orange ou bleu-gris sont connus (4).

Par ailleurs, le décret du 21 juillet 1865 ramena peu après, au même montant (de 50 c à 20 c), le droit de timbre appliqué aux quittances administratives. Cette réforme entraîna l’apparition d’un timbre de dimension à 20 c d’un nouveau type, dit du Manteau impérial. Or ce timbre, valable d’abord pour les quittances publiques et articles d’argent, eut son utilisation étendue, à partir du 1er juillet 1866, à la taxation des récépissés de chemins de fer.

Le Manteau impérial

05Ce timbre fut d’abord émis en gris-bleu ou bleu clair (Yv. n° 6), puis, à partir d’août 1865, en violet (Yv. n° 6A et 6B), pour bien le distinguer d’un nouveau 2 F Manteau impérial émis en un bleu-gris très proche de la couleur du 20 c initial : un processus analogue à celui qui avait abouti, quelques années plus tôt, au retrait du 1 F vermillon postal pour éviter la confusion avec le 40 c Cérès orange de la même série. Les timbres de 20 c Manteau impérial utilisés pour les récépissés de chemins de fer reçurent la même oblitération que le 20 c récépissés de chemins de fer (5).

Après la défaite de 1870 et le traité de Francfort du 10 mai 1871, il devint nécessaire, pour payer l’indemnité de guerre conditionnant le départ des troupes d’occupation, d’augmenter de nombreuses taxes. C’est ainsi que la loi du 23 août et l’arrêté du 25 août 1871 firent passer de 20 c à 25 c le droit de timbre sur les récépissés de chemins de fer.

06Ce passage se traduisit, pour les timbres mobiles de dimension de 20 c, par une surcharge « 5 c en sus » (Yv. n° 16, 16A et 30) d’abord manuscrite, puis imprimée au composteur à main, et enfin typographique (6).

On peut trouver ces timbres comme les précédents sur des lettres de voitures ou des récépissés. Ces timbres, rares neufs et en multiples, sont peu communs avec l’oblitération hexagonale des douanes ferroviaires.

07Parallèlement, les lettres de voitures et récépissés timbrés sur commande furent surchargés « 5 c en plus » au-dessus du cartouche de la valeur (à la place de l’Aigle, préalablement retirée lors de la chute de l’Empire) (7). Les uns et les autres sont peu communs avec cette surcharge.

08

Les timbres mobiles provisoires furent remplacés assez rapidement par un 25 c au nouveau type Chiffres d’Oudiné. Ce type avait été obtenu à partir du cadre des anciens timbres de journaux de l’Empire, dont on avait retiré les armes impériales. Le cadre en était bleu et les chiffres noirs (8).

Ce timbre, comme ses prédécesseurs au Manteau impérial, fut simultanément utilisé pour les quittances administratives, les articles d’argent et les récépissés de chemins de fer. On peut le trouver avec les mêmes oblitérations que les timbres précédents.

La loi du 28 février 1872 réunit alors au droit de timbre des récépissés, le droit de décharge à 10 c créé par la loi du

23 août 1871, ce qui eut pour effet de porter la taxe levée sur ces documents à 35 c.

La même loi de février 1872 ajouta également le droit de décharge au droit de timbre de 50 c et 2/10 pesant sur les lettres de voitures, ce qui porta celui-ci à 70 c.

Presque immédiatement, la loi du 30 mars 1872 vint à son tour porter à 70 c, à compter du 8 avril suivant, le droit affectant les récépissés de transport autres qu’à grande vitesse. Ces deux taxes qui allaient durer jusqu’en 1918 furent d’abord·payées de la façon suivante :

09- tarif à 35 c (récépissés de grande vitesse) : timbre de dimension à 25 c + timbre de quittances et décharges de 10 c (9) ;

10- tarif à 70 c (lettres de voitures ou récépissés de petite vitesse) : timbre de dimension à 50 c et 2/10 + timbre de quittances et décharges à 10 c (ou 2 timbres de dimension à 25 c + timbre de quittances et décharges à 10 c) (10).

11Les oblitérations douanières hexagonales antérieures, auxquelles avait été jointe l’oblitération elliptique horizontale n° 19, furent utilisées pour annuler ces timbres. Elles furent peu à peu remplacées, après 1880 par des griffes « R.D. » avec rectangles de points (11). Parfois des cachets de gare ou des griffes « Douane » dans un rectangle furent également utilisés.

12Parallèlement, les récépissés timbrés sur commande à 20 c furent surchargés « 15 c en sus » au-dessus du cartouche de la valeur (à la place de l’Aigle), pour les envois à grande vitesse (12), tandis que, pour les envois à petite vitesse, les mêmes lettres timbrées recevaient en plus, en surcharge, la contremarque« Un droit en sus » au type Médaille des effets de commerce. Dans d’autres cas, le timbrage à l’extraordinaire fut simplement complété par un timbre de quittances à 10 c pour obtenir le nouveau montant. Toutes ces surcharges et tous ces affranchissements complémentaires de transition sont rares ou peu communs.

13Ils furent en effet remplacés assez rapidement par des empreintes à l’extraordinaire de 35 c et 70 c (13). Quelquefois, certaines de ces nouvelles empreintes ont été complétées abusivement, elles aussi, d’un timbre de quittances de 10 c, alors que ce droit y était déjà incorporé.

141516En ce qui concerne les timbres mobiles, le type d’affranchissement un peu complexe décrit plus haut resta en vigueur jusqu’à la réapparition, en application du décret du 16 janvier 1890, de timbres spéciaux de chemins de fer : deux timbres géants de 35 c et 70 c au type médaillon de Tasset (14), furent alors émis en avril 1891 (Yv. n° 2 et 3). Ils sont communs oblitérés, s’ils sont détachés, mais très rares sur documents (15). Ils sont le plus souvent oblitérés de la griffe « RD » à points déjà signalée. Ils sont rares neufs, avec ou sans surcharge « Epreuve ». Des essais horizontaux et verticaux, avec valeur absente, en sont connus sur papier normal ou cartonné (16).

17La loi du 29 juin 1918 abaissa et uniformisa la taxe appliquée à tous les documents d’envoi par chemin de fer (récépissés, bulletins d’expédition, etc). La nouvelle taxe de 25 c nécessita l’emploi d’un timbre approprié. Celui-ci fut d’abord obtenu en surchargeant les deux timbres de 1890 : « Tarif/porté à/25 c » (Yv. n° 4 et 5). Le 25 c sur 35 c semble nettement plus rare à l’état oblitéré, que le 25 c sur 70 c. A l’état neuf, ces deux timbres sont très rares, qu’ils soient ou non surchargés « épreuve » (17).

181920Un timbre « définitif» correspondant au nouveau tarif fut enfin émis le 30 avril 1920, le 25 c bleu et rouge Médaillon de Tasset vertical court (Yv. n° 6). Ce timbre est rare à l’état neuf (18), ou oblitéré sur document. Par contre, il se rencontre assez facilement en oblitéré détaché. Sauf lorsqu’il se présente avec une oblitération de dimension non douanière (rectangle de points à numéro) (19). En effet, son emploi pendant la période de « banalisation » (postérieure au décret du 5 juillet 1925) fut très limité, car aucun tarif à 25 c ne subsistant, il ne put être utilisé qu’en multiple. A noter que ce timbre existe aussi en non dentelé, bien qu’il n’ait pas été signalé ainsi par Yvert (20). Il est alors particulièrement rare. Parallèlement, on utilisa l’empreinte à 25 c de taxation des quittances, pour timbrer à l’extraordinaire au nouveau tarif les documents d’expédition ferroviaires.

La série fiscale unifiée

21Une hausse générale des droits de timbre survint à nouveau en 1924, par application de la loi du 22 mars de la même année. Elle eut pour conséquence l’apposition d’une surcharge « 2/10 en sus» sur le timbre précédent (Yv. n° 7) (21). Il s’agit, là encore, d’un timbre rare, qu’il soit neuf ou oblitéré, car il n’allait pas longtemps rester en service.

22Peu après, en application du décret du 15 avril 1924, furent émis deux timbres au type Tasset de très grand format vertical : le timbre de 25 c et 2/10 (YT 9) pour remboursement des objets transportés (Yv. n° 9) (22).

2324Le premier de ces timbres est rare, qu’il soit neuf ou oblitéré, très rare non dentelé (YT 8a) (23), et rarissime sur document (24).

Le second (YT 9) est très rare avec surcharge « Epreuve », et rarissime sans cette surcharge.

Peu après cette émission, les timbres spéciaux de chemins de fer ont été remplacés, en application du décret du 5 juillet 1925, par ceux de la série fiscale unifiée. C’est ce qui explique la rareté des trois derniers timbres de récépissés de chemins de fer. Les timbres subsistants sont certes devenus théoriquement utilisables au paiement de toutes les taxes fiscales (« Banalisation »). Mais leur valeur faciale inférieure au franc, et surtout celle du 35 c et 2/10 (= 42 c) se prêtait mal aux affranchissements composés. C’est pourquoi leur emploi sous la « Banalisation » a été presque inexistant.

Le régime de taxation des envois ferroviaires de marchandises d’Alsace-Lorraine a évolué différemment de celui de la France, à partir de l’annexion consécutive à la guerre de 1870.

25Les Chemins de fer impériaux d’Alsace-Lorraine constituaient entre eux, à la fin du XIXe siècle, un réseau autonome. D’où l’utilisation d’un modèle uniforme de lettres de voitures, pratiquement identique à celui des autres Etats allemands; ces lettres étaient revêtues en haut et à gauche d’une empreinte circulaire de taxation imprimée incluant un aigle allemand en son centre et la mention « Frachtbrief Stempel » (timbre de lettre de voiture) (25). Ce sont donc des entiers fiscaux, sans addition de timbres mobiles.

Les premiers timbres mobiles sur lettres de voiture apparaissent au début du siècle. Ils sont de deux sortes.

Sous la « désannexion »

26-Les timbres régionaux des Chemins de fer d’Alsace-Lorraine remontent à peu près à 1905. Ils représentent une roue ailée sous un nombre central (26). Ces timbres, dont la valeur faciale s’échelonne de 5 Pf à 2 M (YT 76 à 84), ont d’abord été émis sans, puis avec filigrane. Sauf le 2 M qui n’a été émis qu’avec filigrane.

Les moins communs de ces timbres sont les 5 c, 90 c et 2 M ;

27-Les timbres impériaux de lettres de voiture (et connaissements), avec mention « Frachtbrief » et de format rectangulaire allongé, leurs valeurs faciales s’élèvent jusqu’au 2 M. Ces derniers timbres n’entrent dans la collection d’Alsace-Lorraine qu’avec l’oblitération rectangulaire ou elliptique de l’une des gares de ces provinces (27).

Les documents comportant des figurines des deux catégories sont naturellement les plus recherchés.

Parallèlement à ces émissions régionales, il faut signaler deux émissions locales de timbres de chemins de fer, pour deux lignes secondaires :

28-L’une en Lorraine, de Diedenhofen (Thionville) à Mondorf (YT 87 à 90) (vers 1903) (28) ;

29- L’autre en Alsace, de Rosheim à Sankt-Nabor (YT 91-94) (vers 1905) (29).

Chacune de ces émissions comporte quatre timbres de 5 c, 30 c, 40 c et 50 c. Leur type est le même que celui de l’émission régionale, mais leurs séparations consistent non pas en dentelures, mais en perçages.

Les timbres de l’émission alsacienne sont percés en zigzags. Quant à ceux de Lorraine, ils sont percés soit en lignes, soit en zigzags, soit de façon mixte (percés en zigzags de deux côtés et en lignes des deux autres côtés). A part ceux-là, deux erreurs sont signalées dans la série de Diehenhofen à Mondorf : « Diehenhofen » (erreur connue sur les quatre timbres de la série : 87 a à 90 a) et « Diedenbofen » (erreur connue seulement sur le 50 c) (YT 90b).

30Lors de la « désannexion » de l’Alsace-Lorraine, ces deux catégories de timbres ont continué à être utilisées dans les mêmes conditions, mais avec surcharges manuscrites. Certains de ces timbres ont reçu des surcharges manuscrites de lecture, indiquant simplement la traduction en francs de leur valeur allemande. D’autres ont reçu des surcharges manuscrites de changement de valeur (30). Sur timbres détachés, ces surcharges ne peuvent être acceptées que si elles sont corroborées par la date de l’oblitération.

Par ailleurs, des surcharges au composteur de changement de valeur ont été apposées sur les timbres impériaux de lettres de voiture.

Ajoutons que des timbres de l’une et l’autre catégorie ont continué à être employés sans surcharge en Alsace-Lorraine française jusqu’en 1921.

31Les timbres impériaux de lettres de voiture ont été remplacés, à partir de 1920, par les timbres français de désannexion bleu et rouge. Si bien que l’on rencontre parfois sur la même lettre de voiture les timbres français de désannexion pour la taxe d’Etat et les timbres des chemins de fer d’A.L. pour la taxe régionale. Il s’agit de pièces très rares (31).

32D’autres timbres mobiles ont été émis spécialement pour taxer les billets de wagons-lits, de 1877 à la fin du dix-neuvième siècle. Ces timbres, qui comportent en leur centre la mention « Impot » (ou « Jmpot ») superposée à l’indication de la valeur dans un cartouche, ne figurant pas à l’Yvert et Tellier, mais au Catalogue des timbres fiscaux locaux et spéciaux de France édité par la SFPF. Certains sont rares et d’autres assez communs, mais tous sont rarissimes sur billets de la Compagnie internationale des wagons-lits (32). A noter que le trou d’annulation circulaire, qui leur a tenu lieu, au début, d ‘oblitération, est loin de constituer une cause de moins-value.

33Au cours de la période moderne, la délivrance des billets de wagons-lits a été subordonnée à l’apposition sur ces billets de timbres fiscaux de la série générale courante (33). Cette pratique semble avoir duré jusqu’aux années 50. Soulignons enfin qu’à certaines époques, les timbres ainsi apposés ont été perforés « WL ».

Paru dans Le Monde des Philatélistes n° 486 – Juin 1994

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