ENA et Poste : des symboles très communs Autres spécialités, Thématiques

Une

Valmy en 1996, Stendhal en 1963, Hugo en 1989, ces quelques noms symbolisent des promotions de la célèbre institution que nous retrouvons en philatélie. Histoire de correspondances et d’affinités culturelles des élites françaises.

Elle aura pour nom «Cyrano-de­Bergerac». Ainsi en ont décidé les 142 élèves de la promotion 1997-1999 de l’Ecole nationale d’administration (ENA). Respectant une tradition qui remonte à la création de la célèbre école, les futurs grands commis de l’Etat, au cours de la nuit du 23 au.24 janvier 1998, dans la petite ville vosgienne de Ventron, ont donné pour nom à leur promotion celui du héros d’Edmond Rostand. Cette coutume, empruntée aux saint-cyriens, non écrite officiellement dans les statuts de l’établissement, a des origines obscures. D’aucuns estiment qu’elle a été imposée par Henry Bourdeau de Fontenay, premier directeur de l’école et ancien commissaire de la République pour la Normandie; d’autres affirment que le général de Gaulle en serait le père.

01La liste des appellations des cinquante-cinq promotions montre que quarante-six d’entre elles peuvent être illustrées par un ou plusieurs timbres. A l’exemple de la dernière promotion, puisque La Poste, en 1997, a émis une série sur les « Héros de romans d’aventures», dans laquelle se retrouve, tout naturellement, Cyrano de Bergerac (1), qui venait de fêter son centenaire. Occasion de souligner la similitude de pensée entre le milieu des futurs énarques et celui de la commission philatélique qui fixe le programme des émissions. Tous deux fonctionnent sur« l’air du temps », l’actualité, les «incontournables » anniversaires de personnalités ou d’événements.

02-04L’Ecole nationale d’administration (2) a été créée par décret du 9 octobre 1945, à l’initiative de Michel Debré, le père de la Constitution de la Ve République. Sa première promotion (1946-1947) porte le nom de «France combattante ». Choix on ne peut plus de circonstance, qui recoupe la première émission philatélique de 1945, émise le 16 janvier et intitulée Libération (3). Le timbre, dessiné et gravé par Pierre Gandon, décrit une allégorie de France sur un cheval ailé avec des résistants en armes. Une autre émission, Mont Valérien (4), de 1962, se rapporte à ce thème avec pour texte «Mémorial de la France combattante».

05La grande geste de la Résistance marquera l’esprit des jeunes énarques dans l’immédiat après-guerre, avec cette promotion 1947-1948 placée sous le signe de la croix de Lorraine. La première croix de Lorraine sur un timbre remonte au 2 février 1945 , dans la série «Chaînes brisées». Celle-ci est la première où réapparaît aussi la mention République française ou RF. Toujours en 1945, le 17 septembre, le symbole est visible sur le timbre La France d’outre-mer 1945. Par la suite, le signe de la France libre est lié à presque tous les timbres sur la Résistance. L’autre temps fort de la Résistance, l’appel du 18-juin 1940, servira pour la promotion 1956-1958. Un choix prémonitoire de la part des jeunes énarques, à quelques mois du retour sur la scène politique « du plus célèbre des Français », selon les propos du président René Coty. En 1990, pour le cinquantième anniversaire de l’appel du 18 juin, La Poste célèbre l’événement (5) sans oublier sur la vignette une nouvelle croix de Lorraine.

06-07Après les symboles, les hommes qui ont fait la Résistance sont appelés à distinguer une classe. Le premier à ouvrir la voie n’est autre que Jean Moulin (1899-1943), pour la promotion 1948-1949. Grande figure emblématique de la Résistance, il bénéficie de deux émissions : l’une en 1957 (6), l’autre en 1981, en compagnie de Victor Schœlcher et de Jean Jaurès. Autre résistant, Félix Eboué (1884-1944) (7) marque la promotion 1952-1954. Si aucune émission en France n ‘existe sur ce gouverneur du Tchad qui a rallié le premier territoire d’outre-mer à la France libre en 1940, son effigie est visible en 1945 sur vingt-six émissions de la série coloniale. Si le nom du chef de la France libre, Charles de Gaulle (1890-1970), est avancé pour la première promotion de l’école, il est définitivement élu par la promotion 1970-1972. A cette occasion, Pierre Racine, directeur de l’ENA, avait brandi la menace de sa démission si le choix des élèves s’était porté sur le centenaire de la Commune et non sur le premier président de la Ve République. A son grand soulagement, Charles de Gaulle est passé… à une voix de la Commune. La première émission sur de Gaulle date de 1971 et la dernière de 1995.

0809-12Après la Résistance, la Révolution française reste une valeur sûre pour les élites de la nation. La première référence sur un symbole révolutionnaire remonte à la promotion de 1979-1981, avec les Droits de l’homme. L’émission se rapportant à cette déclaration a été émise le 14 juillet 1989, avec le bloc de quatre timbres qui comprend l’intégralité du texte (8). La devise républicaine Liberté, Egalité, Fraternité illustre la promotion de 1987-1989. Elle est en 1989 sur une série de trois timbres (9). La bataille de Valmy, le 20 septembre 1792, qui fixe le premier jour de l’an I de la République, a été reprise pour la promotion de 1996-1998. Le timbre sur la célèbre bataille est de 1971 (10). Quant aux acteurs de 1789, ils sont quatre. Deux d’entre eux, Lazare Carnot (1753-1823) et Saint-Just (1767-1794), sont choisis presque simultanément. Le premier pour la promotion de 1959-1960, le second pour celle de 1961-1963. Le choix de ces deux noms paraît comme un défi lancé à la patrie en danger, prise dans les convulsions de la guerre en Afrique du Nord. L’action de Lazare Carnot renvoyant à sa stature d’organisateur de la victoire, et Saint-Just au théoricien déterminé des idéaux de 1789. La figure de «l’incorruptible» (11) Maximilien Robespierre (1758-1794) surgit dans la tornade de mai 1968, avec la promotion 1968-1970. Le philosophe Condorcet (1743-1794) est choisi pour la promotion de 1990-1992. Un an auparavant, en 1989, Condorcet avait fait son entrée dans la philatélie (12).

La période annonciatrice de 1789, celle des Lumières, renforce la présence du XVIIIe siècle dans cette liste, avec les grands noms de la philosophie : Montesquieu (1689-1755), promotion 1964-1966 et émission en 1949 ; Voltaire (1694-1778), promotion 1978-1980, celle du bicentenaire de sa disparition marquée également par une émission philatélique, où il est en compagnie de Jean-Jacques Rousseau. L’autre émission sur Voltaire est de 1949 ; enfin Diderot (1713-1784), promotion 1984-1986, correspond tout à la fois au bicentenaire de sa mort et à l’émission de son unique timbre. Hors ces philosophes, la présence de Jacques Turgot (1727-1781), promotion 1966-1968, est plus originale. Economiste et homme politique, Turgot est perçu comme un réformateur de l’Ancien Régime. Il est sur un timbre depuis 1949.

Parmi les grandes heures de l’idéal républicain, l’année 1848 bénéficie d’une attention toute particulière. Non seulement la promotion de 1948-1950 s’appellera Quarante-huit, mais l’administration postale, fait rare pour être souligné, va émettre également le 5 avril 1948 une série sur le centenaire de la Révolution de 1848, avec ses principaux acteurs (Lamartine, Ledru-Rollin, Louis Blanc, A M. Albert, Proudhon, Blanqui, Barbès, Affre).

13Attentifs de la place de la France dans le monde, les élèves de l’ENA soulignent par leur choix l’importance des organismes internationaux. La promotion de 1947-1949 adopte ainsi le nom de Nations unies. La Poste consacre le 21 septembre 1948 une série sur cette nouvelle institution «Nations Unies ­ Paris 1948 ». Les timbres montrent le palais de Chaillot qui, en 1948, était le siège de l’Assemblée générale de l’ONU (13). D ‘autres émissions en France sur cette institution internationale sortiront en 1951, 1970 et 1985. Après les Nations unies, l’Europe l’emporte pour la promotion 1949-1951. Une promotion contemporaine de la création du Conseil de l’Europe, qui fut la première étape dans la construction européenne. Les timbres sur ce sujet sont émis le 15 septembre 1956, avec le lancement de la série « Europa ».

14Parfois, les élèves de l’ENA se font l’écho d’événements qui sortent du cadre national, comme ce fut le cas pour la promotion 1981-1983, en prenant le nom de Solidarité. Il s’agit alors de soutenir le syndicat polonais Solidarnosc, conduit par Lech Walesa dans un combat contre le régime communiste en place a Varsovie. Si la France n’a pas émis de timbre sur cet épisode, il existe à l’époque une philatélie clandestine en Pologne sur ce syndicat. Dix ans après, en 1990, l’Etat polonais, officiellement cette fois-ci, rend hommage au mouvement Solidarnosc (14).

Des douze personnalités du XXe siècle élues pour marquer une promotion, six sont des écrivains. Six ans à peine après sa disparition, Jean Giraudoux (1882-1944) est choisi pour la promotion 1950-1952. L’auteur de La guerre de Troie n’aura pas lieu ne sera timbrifié que trente ans après sa mort, en 1974. L’homme de A la recherche du temps perdu est à l’en-tête de la promotion 1965-1967. C’est durant cette promotion, le 12 juin 1966, que Marcel Proust est visible sur un timbre.

15Pour marquer l’importance de son œuvre, les élèves de la promotion 1960-1962 ont choisi Albert Camus (1913-1960), qui venait de disparaître dans un accident de la route. En 1967, l’auteur de L’Etranger est sur un timbre. La promotion 1975-1977, André-Malraux, anticipe d’un an la disparition de l’auteur de L’Espoir (1901-1976), timbrifié en 1979 (15). Si Saint­-Exupery (1900-1944) est sur un timbre en 1947 (YT PA 21) et une nouvelle fois en 1970 en compagnie de Jean Mermoz (YT PA 44), ce n’est que pour la promotion de 1992-1994 que l’auteur du Petit Prince inscrit son nom dans cette liste. La promotion de 1993-1995 a été touchée par la grâce de la poésie en choisissant René Char (1907-1988), ne parvenant pas à départager des personnalités aussi différentes qu’Erasme, Churchill ou encore Willy Brandt. En plus de rentrer de son vivant dans la Pléiade en 1983, consécration rare pour un écrivain et plus encore pour un poète, René Char figure dans une série de timbres de 1991 consacrés aux poètes, où se retrouvent Louis Aragon, Jacques Prévert, Paul Eluard, André Breton, Francis Ponge. Pour René Char, «faire un poème, c’est prendre possession d’un au-delà nuptial qui se trouve bien dans cette vie, très rattaché à elle et cependant à proximité des urnes de la mort».

Comme ce fut le cas pour André Malraux, la promotion de 1976-1978 enfreint une règle – un principe similaire à la philatélie – certes non écrite, qui demande de nommer une personnalité défunte, en prenant Pierre Mendès France (1907-1982). Le timbre sur l’ancien président du conseil sera émis à l’occasion du premier anniversaire de sa disparition en 1983. Autre personnalité de gauche, Léon Blum (1872-1950) pour la promotion 1973-1975, a son timbre en 1982, un an après l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir. L’européen Jean Monnet (1888-1979) est retenu à l’occasion du centenaire de sa naissance par la promotion 1988-1990. Un centenaire marqué également par l’émission d’un timbre hexagonal et de nombreuses émissions dans des pays d’Europe. Jean Monnet bénéficiait déjà d’une autre réalisation en 1980 (YT 2096). Les autres personnalités contemporaines viennent d’horizons fort différents. Albert Thomas (1878-1932), syndicaliste, fondateur du Bureau international du travail (BIT) en 1920, est retenu pour la promotion 1953-1955. En 1969, son effigie est sur un timbre.

16Simone Weil (1909-1943), agrégée de philosophie en 1931, ouvrière chez Renault et engagée dans les Brigades internationales en 1936, est adoptée pour la promotion 1972-1974. Son timbre est émis pour le soixantième anniversaire de sa naissance en 1979 (16).

La disparition en 1973 d’un des plus grands peintres contemporains, Pablo Picasso, né en 1881, offre l’occasion aux élèves de marquer un hommage à l’artiste en donnant pour leur promotion 1974-1976 le titre d’une de ses œuvres majeures, Guernica. S’il n’existe pas de timbre sur ce symbole de la guerre civile espagnole, nous pouvons déjà en France trouver un timbre sur un tableau de Picasso, Femme lisant, émis en 1982 pour la Journée du timbre. En mai 1998, La Poste prévoit l’émission d’un timbre sur Pablo Picasso.

17A la différence du XXe siècle, les références du XIXe siècle sont plus politiques. Sur six promotions s’étant inspirées du XIXe siècle, quatre concernent des personnages d’Etat ou politiques. Jean Jaurès (1859-1914) (17) pour la promotion 1967-1969 ; un des rares hommes politiques à bénéficier, hormis Charles de Gaulle, d’une importante production philatélique, qui s ‘ ouvre en 1936, se poursuit en 1959 et se termine, pour l’heure, en 1981, en compagnie de Jean Moulin et Victor Schœlcher.

En 1938, pour le centenaire de sa naissance, Léon Gambetta a droit aux honneurs de la philatélie. Mort en 1882, Léon Gambetta marque de son empreinte les débuts de la IIIe République. Son nom est choisi pour la promotion de 1991-1993.

18Connu essentiellement pour son rôle dans l’abolition de l’esclavage en 1848, Victor Schœlcher (1804-1893) est adopté à l’occasion du centenaire de sa naissance par la promotion 1994-1996. Présent en France sur un timbre de 1957 et de 1981, Victor Schœlcher bénéficie de séries en Guadeloupe, Guyane et Martinique, en 1935 et de nouveau, en 1945, en Martinique. La seconde femme, après Simone Weil, choisie par les énarques depuis 1945 n’est autre que Louise Michel (1830-1905). Ce choix, effectué par la promotion 1982-1984, est à mettre en relation avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981. Quant au timbre sur Louise Michel, il est de 1986 (18).

19Trois ans après le centenaire de sa mort, célébré par de nombreuses manifestations, dont une émission de timbre en 1985 (19), Victor Hugo (1802-1885) est présent dans la promotion 1989-1991. L’auteur des Misérables fait partie des personnalités les plus timbrifiées, avec quatre émissions en 1933, en 1935, en 1936 et en 1938. Stendhal (1783-1842), l’autre écrivain du XIXe siècle retenu par la promotion 1963-1965, a l’originalité d’avoir une émission pour le centenaire de sa mort en 1942 et une autre pour le bicentenaire de sa naissance, en 1983.

Le bâtisseur et le philosophe, tels peuvent se résumer les personnages du XVIIe choisis par les élèves de l’ENA Le bâtisseur étant Vauban (1633-1707), pour la promotion 1957-1959. Son timbre ayant été émis en 1955. Le philosophe Blaise Pascal (1623-1662) avait été le choix de la promotion 1962-1964, année du tricentenaire de sa disparition, marquée également par une émission. Le philosophe et mathématicien ayant déjà une émission en 1944.

Le XVIe siècle se distingue par un homme d’Etat, Michel de L’Hospital (1504-1573), élu de la promotion 1977-1979, dont un timbre en 1960 a fixé les traits. Et deux écrivains : Michel de Montaigne (1533-1592), promotion 1986-1988, avec son timbre en 1943 ; François Rabelais (1494-1553), promotion 1971-1973, et timbre en 1950.

Cette ronde dans le temps se termine au XVe siècle, avec Leonard de Vinci (1452-1519), promotion 1983-1985, qui a son timbre à l’occasion du cinquième centenaire de sa naissance, en 1952.

Paru dans Le Monde des Philatélistes n° 532 – Septembre 1998

ENA et Poste : des symboles très communs
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