Al-Azhar, institution millénaire Egypte, Outre-mer, Proche-Moyen Orient

Une

A travers la célèbre université du Caire, la philatélie égyptienne honore plusieurs de ses illustres représentants. Certains d’entre eux ont été marqués par la culture française.

01Le 4 mai 1957, une série de trois timbres égyptiens célèbre les mille ans de l’université Al-Azhar (1). On peut y lire en légende : « Al-Azhar millénaire », à une période où les langues utilisées dans ce pays sont l’arabe et l’anglais. Une autre émission, en date du 28 juin 1982 sous la forme d’un bloc-feuillets (2), revient sur le millénaire de cette institution, et principalement sa mosquée. Malgré cette imprécision philatélique, sur l’ancienneté exacte de cet édifice religieux, c’est bien sous le règne des Fatimides que s’ouvre en 970 son chantier qui devait s’achever en 972. Jusqu’au milieu du XIIe siècle, l’enseignement religieux est d’inspiration chiite. Vers 1171, avec l’arrivée de Saladin, l’école sunnite s’impose jusqu’à nos jours. Au XIVe siècle, Al­Azhar est agrandie par les Mamelouks puis par les Ottomans. Les cours de théologie, arabe, droit islamique et philosophie religieuse sont dispensés sous la forme de halaqa, cercle où le maître est entouré de ses élèves ass.is par terre. Venu de différents pays, chaque groupe de cercles représente un cycle d’études. L’étudiant qui aura la Ijaza, la licence, et donc la reconnaissance de tous ses maîtres, devient maître à son tour. Dans les années 1890, l’université subit de profondes réformes. En 1961, elle s’ouvre aux études de médecine, de pharmacologie, de commerce, d’architecture, d’agronomie, de sciences, de langues et de littératures étrangères.

02Cette mosquée universitaire, proche du souk oriental Khan el Khalili, où l’on enseigne aussi la théologie, l’arabe, le droit et la philosophie religieuse, reste un des sites touristiques les plus visités d’Egypte. Quelques azharites égyptiens ont continué leurs études en France, tels Al Tahtawi, Mohamed Abdou au XIXe siècle et Taha Hussein au XXe siècle. Une tradition qui se maintient encore de nos jours.

0304Le 15 juillet 1973, la poste égyptienne émet un timbre pour le centenaire de la mort de Rifaa el Tahtawi (1801-1873) (3). Né l’année du départ des Français d’Egypte, Rifaa el Tahtawi, originaire de Tahta en Haute-Egypte, appartient à une famille de notables ruinés par la suppression des fermes fiscales. A la mort de son père, il part étudier à la mosquée El-Azhar du Caire, où il rencontre le maître Hassan el Attar, un des rares cheikhs ouvert à la modernité. Ce dernier avait côtoyé plusieurs savants de Bonaparte à qui il apprenait l’arabe. Hassan el Attar est contemporain de Abdal-al-Rahman al Jabarti, un autre Egyptien illustre. Un timbre émis le 23 juillet 1973, à l’effigie de Jabarti (4) montre l’importance de ce chroniqueur­ historien dont l’ouvrage, Journal du Caire durant l’expédition française 1798-1801, constitue un témoignage unique sur cette période.

A la fin de ses études, le jeune Tahtawi enseigne lui-même à l ‘université El-Azhar. Puis, nommé prédicateur dans une unité de la nouvelle armée égyptienne, Rifaa El Tahtawi est désigné pour faire partie de la mission scolaire en France. Lors de son retour en Egypte, Rifaa présente aux Egyptiens la vie sociale et politique française dans son livre La purification de l’or dans la description de Paris. Cet ouvrage raconte la fascination de son auteur pour la constitution, la démocratie, la culture et la civilisation, françaises, en comparaison à celle de l’Egypte. Un pays, selon Tahtawi, où le wali Mohamed Ali est un despote qui gouverne son pays sans constitution.

Tahtawi devient l’un des savants arabes de la nahdha, renaissance, mouvement du XIXe siècle en Egypte et au Liban. Cette période voit la création d’écoles modernes, l’édition des œuvres en arabe et le début de la traduction des auteurs étrangers en arabe, tels Molière par Mohamed Galal ; Corneille par Naguibe Hadad ; ou encore Homère par Sulayman Al Bustani. Tahtawi traduit des ouvrages, du français en arabe, sur l’architecture et le code civil, faisant en partie de celui-ci, jusqu’à nos jours, une des références du droit égyptien.

Peu avant la nahdha, les Egyptiens découvrent le théâtre lors des campagnes de Bonaparte où des pièces étaient représentées en français. Lorsque Jacob Sannu fonde un théâtre au Caire dans la seconde moitié du XIXe siècle, il est surnommé le « Molière de l’Egypte ». Tahtawi avec le concours de savants arabes ouvre la civilisation arabe, en déclin depuis six siècles, sur le monde occidental et tout particulièrement sur la France. Il s’appuie sur la presse pour réveiller les Egyptiens. Premier rédacteur en chef des Evénements égyptiens, un journal officiel qui voit le jour en 1828, il fonde La Revue des écoles qui présente à la fois la littérature arabe et la culture européenne et des études scientifiques. Mais les premiers journaux égyptiens sont La Décade égyptienne et le Courrier de l’Egypte, édités en français dès l’arrivée de Bonaparte en Egypte.

Tahtawi fonde l’Ecole supérieure des langues, à l’instar de l’Ecole nationale des langues et civilisations orientales à Paris. Il préside l’organisation de la traduction et invite ses étudiants à traduire les œuvres littéraires et scientifiques en arabe. Il attire l’attention des Egyptiens et des Arabes sur l’importance de l’ouverture sur l’Europe et appelle le gouvernement à construire des écoles modernes. Ses disciples, Mohamed Abdou et Taha Hussein, tous deux de formation azharite, poursuivent leurs études en France et sont à l’origine des principales réformes d’Al-Azhar.

05C’est le 10 décembre 1973, année de sa disparition, que Taha Hussein a son effigie sur un timbre (5). Présenté comme le « doyen des lettres arabes », Tahan Hussein (1889-1973) est né en Haute-Egypte. A trois ans, il perd la vue à la suite de soins inappropriés dus aux coutumes et à la pauvreté. Malgré cet handicap, à neuf ans il apprend le Coran puis des poèmes, des contes et des textes arabes par cœur. A treize ans, à la mosquée Al-Azhar, il fait la rencontre décisive de maîtres tels que Mohamed Abdou ou Cheihk Mahdi Nasif. En 1908, âgé de dix-neuf ans, il est étudiant à l’université du Caire. Influencé par l’orientaliste Nalino, il soutient sa thèse de doctorat ès lettres en 1914. Aussitôt, il part pour la France où il s’inscrit à l’université de Montpellier puis, l’année suivante, à la Sorbonne. Il apprend le français, le latin et le grec et présente sa thèse de doctorat en philosophie sociale après avoir étudié les littératures grecque, latine et française. Il épouse une Française, Suzanne, qui lui est un soutien à la fois moral et culturel. Par elle, il découvre les œuvres françaises. En reconnaissance, Taha lui rend hommage dans Le Livre des jours, ouvrage dans lequel il écrit qu’elle a transformé sa vie : « Elle a changé en joie la misère de mon âme, fait de mon infortune un bonheur et de son désespoir une espérance. » Le livre des jours est traduit en plusieurs langues, enseigné en Egypte et dans plusieurs pays arabes. Revenu en Egypte, il enseigne la littérature arabe à l’université du Caire. Il considère que la littérature grecque est à l’origine de la civilisation occidentale. Pour Taha Hussein, la civilisation occidentale a vécu quatre étapes : la poésie d’Homère, la philosophie de Platon et d’Aristote, la politique d’Alexandre et enfin les deux religions : le christianisme et l’islam.

Convaincu qu’il n’y a pas de frontière entre les civilisations, Taha publie dans les journaux égyptiens la traduction des pièces de théâtre françaises comme Andromaque de Racine ou Zadig de Voltaire. Il aborde l’étude de la littérature arabe avec la méthode rationnelle cartésienne et met en valeur la tradition culturelle arabe. Selon lui, la poésie arabe ancienne doit être étudiée selon les méthodes de recherches littéraires modernes. Ses nouvelles, romans, articles et conférences dénoncent l’injustice sociale, certaines coutumes archaïques, la corruption politique. Il réclame la vérité, la démocratie et n’hésite pas à attaquer le gouvernement du dictateur Ismaël Sidhi (1931-1934).

Pour échapper à la censure, il utilise dans les années 1940 le symbole afin de pouvoir communiquer avec ses lecteurs, surtout les intellectuels, alors peu nombreux. Taha a avoué sa méthode dans l’introduction de son livre Les Damnés de la terre, réédité après 1952. Il écrit : « La censure lisait sans rien comprendre car l’écrivain a trouvé une langue comprise par ses lecteurs. » Laïc, il a recours au Coran afin de dénoncer l’injustice sociale, la misère, la passivité des Egyptiens et l’ignorance. L’écrivain réclame le droit à l’enseignement pour former le citoyen égyptien et réussit à éveiller la conscience, à motiver les intellectuels, les politiques pour mener une campagne en faveur de la fondation d’écoles modernes par le gouvernement et obtient la participation financière de riches Egyptiens.

Fondateur de l’université d’Alexandrie lorsqu’il devient ministre de l’enseignement et de l’instruction (1950), il obtient la gratuité pour l’enseignement primaire. Son projet de réforme de l’enseignement en Egypte a été publié dans L’Avenir de la culture en Egypte, un livre édité en 1939. Cet ouvrage fait suite à des conférences nationales et internationales dans les années 1930 sur la réforme de l’enseignement et le système scolaire.

Le message de l’écrivain a attiré l’attention d’André Gide, qui considère dans l’introduction de la traduction française de l’œuvre de Taha Husein comme « patiente victoire de la lumière spirituelle sur les ténèbres » et que cet homme aveugle « est pour l’Egypte son guide clairvoyant ».

06Un autre azharite célèbre, Mohamed Abdou (1849-1905), est sur un timbre le 11 juillet 1965 (6). Fasciné par la littérature française et surtout le roman, après un séjour à Paris, Mohamed Abdou devient iman de l’université Al-Azhar et conduit la première réforme de l’enseignement dans les années 1890. Vers la fin du XIXe siècle, la littérature, les mathématiques, l’histoire trouvent leur place avec l’enseignement traditionnel comme la théologie, le droit, l’arabe et la philosophie.

Ce réformateur, marqué par son séjour à Paris où il était condamné à l’exil par les Anglais, fonde en 1884 le journal Al Urwa Al Wusqa pour défendre l’Egypte contre les occupants britanniques. Professeur admiré par Taha Hussein, grand mufti et grand imam d’Al-Azhar, il a écrit plusieurs articles et livres politiques, littéraires et religieux.

07La philatélie égyptienne rend gloire à de rares personnalités étrangères. Mais, parmi elles, une prend une place toute particulière : Jean-François Champollion (1790-1832). C’est en 1972, à l’occasion du 150e anniversaire de la découverte de la pierre de Rosette que la poste égyptienne émet une série sur le célèbre scientifique (7).

Passionné par les langues anciennes, Jean-François Champollion apprend le latin, le grec. Il fait ses études à l’Ecole nationale des langues et civilisations orientales et devient professeur d’histoire à l’université de Grenoble. Les récits de la campagne de Bonaparte attirent son attention. Il publie en 1814 son premier ouvrage, L’Egypte des pharaons. Il apprend le copte qui, avec le grec, lui sera d’une aide précieuse pour déchiffrer les hiéroglyphes. Il poursuit les travaux de l’anglais Thomas Young (1773-1829), qui a compris que les cartouches de la pierre de Rosette entourent des noms propres du pharaon mais sans pouvoir déchiffrer ces inscriptions. Cette pierre, découverte au nord de I’Egypte en 1799 et qui se trouve actuellement à l’entrée du British Museum à Londres, présente un texte en trois langues : hiéroglyphe, démotique et grec. La remarque de Young concernant le cartouche aide Champollion à commencer à lire en 1822 quelques noms sur l’obélisque de Philae. Ainsi, il parvient à trouver des correspondances entre les lettres grecques et les hiéroglyphes et à en dresser une liste.

Sa découverte est présentée l’année même à l’Académie des inscriptions. Le texte en trois langues de la pierre de Rosette fait avancer rapidement les recherches de Champollion dans plusieurs domaines : lexicologie, grammaire et phonétique. Sa démonstration repose sur l’analyse du nom de Ramsès, dont les hiéroglyphes comprennent des lettres et des signes. Il arrive à des correspondances entre signes égyptiens et lettres grecques. Créé en 1793, le musée du Louvre connaît dès 1826 un département égyptien dont Champollion est à la fois le fondateur et le conservateur. En 1828, il réalise une mission scientifique en Egypte d’un an et demi. Devenu membre de l’Académie des inscriptions en 1830, il est professeur au Collège de France en 1831. Il meurt le 4 mars 1832 -à l’âge de quarante-deux ans – laissant inachevés les résultats de sa mission, ainsi qu’un dictionnaire. Son frère, Champollion-Figeac, poursuit son œuvre dans la connaissance de la civilisation égyptienne.

 Legende

Sans être passé par la célèbre université cairote,
l’écrivain Naguib Mafouz, Prix Nobel de littérature en 1988,
est parmi les personnalités égyptiennes timbrifiées
l’une des plus francophiles.

 

 

Paru dans Le Monde des Philatélistes n° 533 – Octobre 1998

Al-Azhar, institution millénaire
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