Stevenson en ses îles Autres spécialités, Thématiques

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Samoa, les îles Cook et Niue ont émis en 1994 chacune quatre timbres qui évoquent la vie et l’œuvre de Robert Louis Stevenson (1850-1894). Soixante ans après les premiers timbres émis en l’honneur de l’auteur de la mythique « Ile au trésor… »

01Robert Louis Stevenson (1) est né à Edimbourg le 13 novembre 1850. Sa famille maternelle, les Balfour de Pilrig, se compose de pasteurs, de missionnaires et de fonctionnaires coloniaux qui ont exercé aux Indes. Du côté paternel, les Stevenson sont des gens de mer et de négoce. Le père de l’écrivain, Thomas, est ingénieur et, continuant sur les traces de son propre père, il s’occupe de la construction de phares. C’est son père qui construisit le fameux phare de Bell Rock, sur le récif de la mer du Nord, au large de Dundee, et qui inspira à Turner une marine. Calviniste, rude mais sensible, on retrouve ces traits chez son fils. De sa mère, il hérite une santé délicate qui le handicapera toute sa vie. Il suivit des études décousues, la maladie l’obligeant à garder souvent la chambre. Il dévore les romans de Scott et de Dumas, ainsi que les récits de pirates de C. Johnston. Avec son père, il visite des phares, se rend en Allemagne et en Italie. En 1863, il découvre Menton et la Côte d’Azur afin d’améliorer sa santé et celle de sa mère. La même année, il compose une revue manuscrite, The Schoolboy’s Magazine, où il recopie des aventures extraordinaires : Les Aventures de Jan Van Steen, Le Trafiquant d’épaves, Creek Island ou Aventures dans les mers du sud… En 1866, il publie une deuxième revue, The Sunbeau Magazine, ainsi que son premier livre (22 pages tirées à 100 exemplaires), La Révolte du Pentland, qui retrace le soulèvement des paysans puritains au XVIIe siècle.

02-03Il entre à l’université d’Edimbourg à quinze ans afin de suivre une préparation d’ingénieur pour succéder, à son tour, à son père. Il abandonne ses études scientifiques et se tourne vers le droit. La rencontre en juillet 1873 de Sidney Colvin, professeur d’histoire de l’art à Cambridge, lui ouvre les colonnes des revues. Il lui en sera très reconnaissant dans ses « Mémoires » inachevés : « Si je suis ce que je suis, si j’ai fait quelque chose de bien ou tout simplement quelque chose, c’est à lui que je le dois. » Il a trouvé sa vocation : il sera homme de lettres. De 1873 à 1875 vont s’enchaîner critiques, nouvelles et articles. Il accumule les voyages excentriques : il descend, en juillet 1876, en canoë, la Sambre et l’Oise ; il parcourt en 1878 les Cévennes avec une ânesse. Ses pérégrinations diverses lui fournissent la matière de ses premiers véritables livres : An Inland Voyage (1878) et Le Voyage avec un âne dans les Cévennes l’année suivante (Travels with a Donkey in the Cévennes (2). A cette époque, il fait une rencontre décisive : il commence une liaison avec Fanny Osbourne, un peintre américain de trente­six ans vivant séparée de son époux. A l’appel de Fanny de Californie, Stevenson la rejoint ; il raconte cet éprouvant voyage en 1880 dans The Amateur Emigrant. Fanny, ayant obtenu le divorce, épouse l’écrivain le 19 mai 1880. Ils se rendent tous deux en Ecosse, la réticence familiale ayant été brisée.

0405Luttant contre les attaques de la phtisie, Stevenson connaît la gloire et le renom. Il cherche la guérison en Suisse, en Provence, à Hyères et Bournemouth. Après avoir brigué en vain une chaire à l’université d’Edimbourg, il se consacre exclusivement à l’écriture. Son beau-fils Lloyd, âgé de quatorze ans, est un public de choix. D’après un dessin d’île réalisé pour lui, il commence la rédaction de L’Ile au Trésor en 1881 (3). Le magazine londonien pour la jeunesse Young Folks publie le roman en feuilleton. Il se tourne vers un autre domaine littéraire et publie des recueils d’essais et d’analyses critiques : Virginibus puerisque (1881), Essais familiers sur des Hommes et des Livres (1882) et Nouvelles Mille et Une Nuits (1882). La publication de L’Ile au Trésor en volume chez Cassel en novembre 1883 se révèle un triomphe tant chez les jeunes que chez leurs aînés. Chacune de ses publications successives lui apporte le succès : La Flèche noire, roman écrit après L’Ile au Trésor et paru dès 1884 dans un magazine pour la jeunesse, Le Prince Othon et Le Jardin poétique d’un enfant pour l’année 1885 ; L’Etrange Cas du Dr. Jekyll et de Mr. Hyde, dont 40 000 exemplaires seront vendus en six mois (4). Enlevé ou les Aventures de David Balfour pour l’année 1886 (5).

L’adieu à l’Angleterre

060708Après le décès de son père, il quitte le 21août 1887 l’Angleterre, qu’il ne reverra d’ailleurs pas. Ses pas le guident tout naturellement en Amérique, où il est plus apprécié qu’en Angleterre. Il se consacre, aux bord du lac Saranac, à la frontière canadienne, à la rédaction du Maître de Ballantrae. Son goût pour les voyages le porte à se rendre en croisière dans les mers du Sud, il quitte San Francisco le 28 juin sur le Casco, dont la première escale se situe aux îles Marquises. Suivent Tahiti, Papeete, les îles Hawaï et Honolulu. Il quitte l’archipel hawaïen et embarque sur l’Équateur (6) pour les îles Gilbert. Il visite l’île du Butaritari, Apemama puis les Samoa, où l’Équateur arriva le 7 décembre. Il acheta une vingtaine d’hectares de brousse aux Samoa et fit construire un cottage pendant qu’il visitait l’Australie. Sur le chemin du retour, il se rend aux îles Marshall. Il termine à cette époque une de ses plus belles et plus longues œuvres, Le Trafiquant d’épaves, qui paraît en 1892. En mars 1891, il va visiter les autres îles de l’archipel : Tutuila, le port de Papopago et la baie d’Oa. Le domaine d’Apia (7), dont la propriété se nomme « Vailima la maison des cinq rivières » (8), est désormais le port d’attache de l’écrivain et de sa famille.

091011Levé tous les matins à 5 heures, Stevenson se consacre à l’écriture. Il écrit Catriona, la suite d’Enlevé; Saint-Yves, Le Barrage d’Hermiston (9), qui restera inachevé ; Le Reflux ; Une famille d’ingénieurs, qui raconte l’histoire des constructeurs de phares ; A travers les plaines. Il se replonge dans la lecture de ses auteurs préférés : Meredith, Henry James, Kipling, Conan Doyle, Rabelais, Villon, Flaubert, Taine et Renan. Il accorde aussi beaucoup de son temps aux affaires politiques de l’archipel, il multiplie les courriers au Foreign Office et au Times pour défendre les habitants spoliés par divers abus. D’ailleurs, ceux-ci l’ont définitivement adopté, reconnaissant en lui le don de l’enfance que cet homme adolescent partage avec eux, et le surnomment « Tusitala » (10). Une édition de ses Œuvres complètes est lancée à Edimbourg. Se sentant près du terme, il se surmène. Il voit arriver la fin avec regret et douleur et écrit : « Que laisserai-je après moi ? Quelques histoires pour enfants, et ce domaine onéreux qui me ronge. » Une crise d’apoplexie le foudroie le 3 décembre 1894. Il est enterré, comme il le souhaitait, en haut du mont Vaea (11).

Bien plus qu’un simple conteur

12Longtemps l’œuvre de Stevenson a été considérée comme mineure, mais la célébration du centenaire de sa mort (12) a brisé l’image du « conteur pour enfants » et a révélé la profondeur de son art poétique.

 Epitaphe composée par lui-même à Hyères (légende 11 représentant la tombe de Stevenson) :
« Sous le ciel vaste et plein d’étoiles,
Creusez ma tombe et laissez-moi dormir.
Avec joie, j’ai vécu et je meurs dans la joie
Et je me couche le cœur en paix.
Il dort ici, où il a souhaité d’être :
Chez lui, navigateur revenu de la mer
Chez lui, chasseur descendu de la montagne».

 

Son œuvre s’inscrit dans une structure évolutive de l’être humain et met en scène dans ses premiers écrits un adolescent, Jim Hawkins dans L’Ile au trésor et David Balfour dans Enlevé. Leurs aventures extraordinaires sont les épreuves initiatiques qui leur permettent d’accéder au monde adulte, munis du bagage de l’expérience. Le génie de Stevenson réside dans la minutie avec laquelle il campe ses personnages : le capitaine John Long Silver et son perroquet dans L’ Ile au trésor, le dévoué M. Mackellar du Maître de Ballantrae, l’orgueilleux Alan Breck dans Enlevé… Il complète cette étude de la formation et de la révélation de la personnalité par des écrits à la limite de l’introspection psychanalytique comme L’Etrange Cas du Dr. Jekyll et de Mr. Hyde et Le Maître de Ballantrae, dans lesquels il analyse la notion du bien, du mal, de l’amour, de la haine et les différentes composantes de la personnalité. Le monde imaginaire de Stevenson est complexe, exactement à l’opposé de son style minimal. Ses personnages sont un mélange du bien et du mal, à l’exemple du Dr Jekyll, qui représente le paroxysme de son œuvre. D’autre part, la littérature de Stevenson est toute de mouvement et il rend réels ses personnages par leur faculté à voyager, à saisir les occasions qui leur sont proposées et à toujours trouver une solution à toutes situations. Il met lui­même un terme à sa recherche en présentant David Balfour dans Catriona comme un jeune homme qui, grâce au mariage, va atteindre la sérénité. Ainsi, le cycle est terminé.

Paru dans Le Monde des Philatélistes n° 498 – Juillet-Août 1995

 

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