La démocratie athénienne Europe, Grèce, Pays G-N

Une

En septembre 1991, les postes grecques ont rappelé à notre mémoire que la démocratie faisait partie des plus anciennes formes de gouvernement.

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Le timbre émis à cette occasion (1) reprend un sujet qui avait déjà fait l’objet d’une figurine en 1985, dans une série consacrée à la proclamation d’Athènes comme capitale culturelle de l’Europe (2). Il s’agit d’un bas-relief, conservé au musée de l’Agora (Athènes), illustrant un décret de 336 av. J.-C. contre la tyrannie. On connaît d’autres bas-reliefs athéniens dont l’en-tête sculpté ornait – divers textes officiels. Ceux-ci montrent un personnage, debout s’appuyant sur un bâton ou assis comme c’est le cas ici , symbolisant le dêmos, c’est-à-dire le peuple. Il est toujours représenté comme un homme dans la force de l’âge, barbu, vêtu d’un manteau laissant une partie du corps à découvert : c’est l’image traditionnelle du citoyen. A côté de lui figure souvent la déesse Athéna, patronne de la cité, qui sert ainsi de garante à l’acte célébré. Sur les deux timbres, un autre personnage se tient debout, s’apprêtant à déposer une couronne sur la tête de Démos : c’est une jeune femme qui peut symboliser ici la démocratie.

Il y a 2 500 ans, Athènes mettait un terme à la tyrannie des Pisistratides (51 0 av. J.-C.) et les réformes de l’Athénien Clisthène (508) ouvraient la voie à la démocratie.

 L’aristocratie et la tyrannie

Au début du septième siècle, Athènes, comme l’ensemble de la Grèce, est dominée par une aristocratie guerrière qui seule détient la richesse foncière. Tous les pouvoirs, religieux, judiciaire, politique, sont entre ses mains. La masse de la population est constituée d’une paysannerie dépendante, économiquement et socialement, de ces grandes familles. Entre ces deux groupes, des paysans libres sont assez aisés pour acheter l’équipement lourd nécessaire aux milliers de fantassins (hoplites) qui, à partir du milieu du siècle, constituent la force militaire de la cité. Les artisans sont encore peu nombreux.

Mais l’essor de la colonisation, commencée au siècle précédent avec les fondations de Syracuse, de Tarente et d’autres colonies grecques d’Italie méridionale et de Sicile, allait provoquer des crises violentes dans toutes les cités. Le développement du commerce, consécutif aux implantations grecques dans tout le bassin méditerranéen, fait naître une classe moyenne d’artisans et de marchands. La concurrence des produits étrangers aggrave la condition paysanne. L’apparition de la monnaie autour de 680 favorise les échanges et permet à ces classes moyennes d’acquérir une certaine richesse. Or ces couches nouvelles de la population, qui voient ainsi s’accroître leur rôle économique et social, n’ont aucun droit politique. Des guerres civiles éclatent alors dans de nombreuses cités.

C’est à la fin du septième siècle qu’Athènes, qui jusqu’alors était restée à l’écart du grand mouvement de colonisation, entre à proprement parler dans l’Histoire. Le premier épisode connu est la tentative d ‘un certain Cylon pour s’emparer de la tyrannie, vers 630. Celle-ci échoua et Cylon fut exécuté. En 621 est rédigé le code de Dracon – dont le nom est aujourd’hui associé à des mesures particulièrement sévères – qui instituait un droit commun pour tous dans les affaires de meurtres afin de mettre un terme aux pratiques de vendetta des familles aristocratiques. Cette publication d’une loi écrite, qui pouvait donc être connue de tous, tranchait radicalement avec les méthodes de l’aristocratie, qui tenait ses lois secrètes. Ce fut une des premières étapes vers la démocratie.

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Cependant, ces lois ne modifiaient en rien les privilèges de l’aristocratie dans les domaines politique et social. La crise agraire notamment était aiguë : les paysans étaient fortement endettés et risquaient d’être réduits en esclavage. Le législateur Solon a laissé son nom à un ensemble de lois (594-593) destinées à résoudre cette crise. Le timbre émis en 1974 à Chypre pour le 2e Congrès international d’études chypriotes (3) reproduit un médaillon d’une mosaïque romaine de la fin du troisième siècle de notre ère trouvée à Baalbek (Liban) où sont réunis les Sept Sages de la Grèce antique – parmi eux, Solon, – personnages qui ont réellement vécu mais qui, dans l’imagination des Anciens, prenaient un caractère semi-fabuleux.

Agréé par les nobles comme par les petites gens, Solon donna à Athènes sa première Constitution démocratique, qui s’efforçait, selon précisément le principe du « rien de trop », de trouver un juste milieu entre les pauvres et les riches. Il abolit la contrainte par corps, empêchant ainsi les paysans endettés d’être asservis par les nantis. Il répartit les citoyens en quatre classes, non plus d’après la naissance mais d’après la fortune. Il aurait aussi créé un Conseil de quatre cents membres pour contrebalancer celui de l’Aréopage où seules siégeaient les grandes familles. Il aurait enfin institué un tribunal populaire dont les membres étaient choisis dans les quatre classes, ce qui permettait aux pauvres comme aux riches d’être représentés. Quelque temps plus tard, les querelles reprirent car, par sa Constitution modérée, Solon n’avait satisfait aucun des extrêmes. C’est avec lui néanmoins qu’Aristote fait commencer la démocratie. Après Solon, l’anarchie régna épisodiquement à Athènes jusqu’à ce Pisistrate que prenne le pouvoir en s’appuyant sur les petits propriétaires de l’Attique et les mécontents. Comme dans d’autres cités grecques, bien avant Athènes, ce gouvernement dirigé par un seul homme, dont l’autorité, au contraire de celle d’un roi, ne présente aucun caractère divin, a reçu le nom de tyrannie. Ce terme pourrait provenir d ‘Asie Mineure et n’a pas tout de suite revêtu le sens défavorable que nous lui donnons aujourd’hui. Bien au contraire, c’est sous Pisistratt (561-528) qu’Athènes connut son premier essor architectural : un nouveau temple fut construit sur l’Acropole pour la déesse Athéna. A la mort de Pisistrate, ses fils Hippias et Hipparque lui succédèrent (528-510). Mais ils n’avaient pas l’envergure de leur père et les opposants à la tyrannie gagnaient chaque jour des partisans. Hipparque fut assassiné en 51 4 et Hippias dut capituler pour s’exiler à la suite de l’intervention du roi de Sparte appelé par les aristocrates athéniens (510). L’épisode de la tyrannie était clos.

 Le triomphe de la démocratie

Le régime aristocratique rétabli par les Spartiates après la chute d’Hippias ne put tenir devant la pression des démocrates, qui trouvèrent en Clisthène un chef de grande classe. Ses réformes, menées en 508-507, étaient particulièrement hardies, ce qui justifie pleinement son titre de «père de la démocratie athénienne», dont le souvenir se lit en filigrane dans l’émission grecque de 1991. C’est lui en effet qui établit un Etat nouveau, laïc, où les privilèges de la naissance ne jouent plus aucun rôle dans la vie politique.

L’Attique est divisée en une centaine de circonscriptions appelées dèmes, terme dérivé de dêmos. Cette nouvelle répartition des citoyens ne doit plus rien à la fortune, comme du temps de Solon, mais repose sur une division géographique de l’Attique : la ville, la côte et l’intérieur, qui fournissent chacune un tiers des membres du nouveau Conseil mis en place par Clisthène. Ce dernier crée également un collège de dix stratèges, à l’origine officiers supérieurs, mais qui au cinquième siècle devinrent les magistrats suprêmes de la cité avec les fonctions de ministres des affaires étrangères, responsables du budget de la guerre.

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La démocratie athénienne au cinquième siècle était une démocratie directe où les citoyens déterminaient, sans l’intermédiaire de députés, la politique et le gouvernement de la cité. Elle reposait sur quelques principes fondamentaux : l’égalité de tous devant la loi; l’accès de tous aux honneurs et aux fonctions publiques par élection ou tirage au sort ; le droit de tous à la parole devant les tribunaux et l’assemblée du peuple (ecclésia ). Celle-ci, après s’être réunie sur l’agora, prit l’habitude de se réunir sur la colline de la Pnyx en face de l’Acropole. Les marches apparaissent à l’angle inférieur droit des timbres grecs de 1927 commémorant le centenaire de la défense de l’Acropole par le général français Fabvier (4). Pour permettre aux plus pauvres d’exercer le pouvoir politique au sein de l’ecclésia, Périclès fit accorder à tous des indemnités parlementaires.

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Périclès a laissé son nom à ce qui fut la période phare de la démocratie athénienne : le «siècle» de Périclès. Il entra dans la politique en 469. Aristocrate, Périclès avait compris que l’avenir était entre les mains du parti démocratique. En 463, il brisa la puissance du tribunal aristocratique de l’Aréopage. A partir de 461, il fut réélu stratège (voir supra) pendant près de trente ans, fait unique dans l’histoire grecque. Les années Périclès feront d’Athènes la capitale politique et culturelle d’une partie du monde grec. C’est la transformation de la ligue de Délos, du nom de cette île des Cyclades dont elle était le siège, en véritable empire colonial dirigé par et pour la cité d’Athènes. En effet, les cités versaient un impôt annuel , d’abord conservé dans le sanctuaire d’Apollon à Délos, puis transporté à Athènes où il fut utilisé pour embellir la ville. C’est de fait au milieu du cinquième siècle que furent construits les plus beaux édifices de l’Acropole, des Propylées (entrée monumentale) au Parthénon en passant par l’Erechthéion (5).

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Un célèbre buste de Périclès est aujourd’hui conservé au Musée du Vatican. Ce buste est reproduit sur trois timbres grecs d’une série «Art antique» : le premier à 100 drachmes (1954), le second et le dernier exprimés en nouvelle monnaie, à 30 lepta (1955) et 10 l epta (1958-60) (6). Sous un autre angle, ce même buste figure sur un timbre du Vatican de 1977 (7) et sans doute dans un cachet temporaire de Berlin-Est de 1983 (8).

La démocratie directe, à la mode athénienne, n’était possible que dans des conditions particulières, celles de petites cités au territoire limité. Elle supposait l’esclavage, qui déchargeait les hommes libres des activités prenantes. Autres exclus de la vie politique : les étrangers domiciliés à Athènes (métèques), qui exerçaient des activités artisanales ou commerciales, ainsi que les femmes. Quand l’empire athénien, qui par l’impôt fournissait les subsides nécessaires à l’exercice de la démocratie, s’écroula à la fin du cinquième siècle, les pauvres songeaient à assurer leur existence avant tout.

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Le quatrième siècle sonna alors le glas de la démocratie. Paradoxalement, cette période vit naître les premiers ouvrages de réflexion sur le fait politique. Ce fut tout d’abord Platon (9) qui donna dans la République sa conception de l’État idéal, un État dont la Constitution est nettement aristocratique. Son disciple Aristote (10) publia en 336, l’année même de l’avènement de son ancien élève Alexandre le Grand, un traité connu sous le nom de Politique, élaboré à partir des renseignements réunis sur les constitutions de plus de cent cinquante Etats grecs ou barbares. Enfin, vers 329, il publia sa Constitution d’Athènes.

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Une autre grande figure de la vie politique et littéraire grecque domine les années 350-330 : Démosthène, dont le nom même signifie «la force du peuple». Il court sur sa période de formation à l’art oratoire quantité d’anecdotes plus ou moins sûres. L’une d’elles en tout cas est restée suffisamment célèbre pour justifier le choix de l’illustre orateur par les postes mexicaines en 1974 (11). Cette anecdote raconte que, pour s’entraîner à parler en public, Démosthène se rendait sur le rivage : il mettait des cailloux dans sa bouche et s’efforçait de dominer de la voix le bruit des vagues. Ce récit n’est sans doute pas absent du timbre du Mexique qui associe Démosthène et un congrès hispano-américain sur les difficultés d’apprendre à lire et à écrire. L’orateur athénien figure aussi sur un timbre d’Albanie (1974) à travers une tête découverte à Apollonie, cité grecque de la côte illyrienne (12).

En 355, Démosthène aborde les affaires de l’Etat en intervenant à l’Assemblée dans les débats de finances ou de politique extérieure. Mais au nord de la Grèce, une nouvelle puissance grandit. En 351 commence le duel entre Démosthène et Philippe, roi de Macédoine. Par discours interposés, l’orateur athénien chercha inlassablement à convaincre ses compatriotes de la menace que les ambitions de Philippe II faisaient peser, non seulement sur Athènes, mais sur la Grèce tout entière. A la tête du parti démocratique anti-macédonien, il lutta, dans un combat inégal, contre l’inertie des Athéniens et les intrigues de ses adversaires favorables à Philippe. Ce dernier pourtant fut le plus fort et la défaite des Athéniens à Chéronée (338) devant l’armée macédonienne soumettait l a Grèce au puissant royaume du Nord.

A la mort de Philippe, assassiné en 336, Démosthène essaie encore une fois de réveiller le patriotisme des Athéniens, en vain. Alexandre, fils de Philippe, mata rapidement ce sursaut d’énergie. Quand Alexandre mourut, en 323, un dernier frisson d’espoir souleva les patriotes athéniens mais Antipater, lieutenant d’Alexandre, anéantit bientôt les espérances grecques et exigea l’abrogation de la Constitution démocratique d’Athènes. Une garnison macédonienne s’établit au Pirée (322). Pour ne pas être livré au vainqueur, Démosthène s’empoisonna.

 La république grecque

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Les Grecs de l’Antiquité nommaient leur pays Hellade et eux-mêmes se désignaient par le mot Hellènes. Ce terme ancien a prévalu quand furent émis les premiers timbres-poste du nouveau royaume indépendant en 1861 (13). Jusqu’en 1965, le mot «Hellas», en caractères grecs seuls, a figuré en légende des timbres grecs, aussi bien pendant la courte période (1924-1935) où la Grèce a vécu sous un régime républicain (14) que sous la monarchie restaurée en 1935 (15). En 1966 fut adjoint le nom en caractères latins (16).

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Depuis 1982, de même que les timbres français portent la légende « République française», les timbres grecs ont abandonné le terme « Hellas », maintenu seulement en caractères latins, pour le remplacer par « Hellenike Demokratia » qui se traduit par «République grecque » (17). Cette légende n’avait servi qu’à une seule reprise, en 1927, pour les trois timbres dédiés à Charles Nicolas Fabvier (voir 4) qui s’illustra dans la guerre d’indépendance en défendant Athènes attaquée par les Turcs (1827).

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En grec moderne, le même mot signifie «démocratie» et « république», comme on le constate sur le timbre émis en 1 984 pour célébrer le retour à la démocratie après les sept années de la dictature des colonels (18). Un retour aux sources en somme, quelque 2 500 ans après les débuts de la démocratie athénienne.

Paru dans Le Monde des Philatélistes n° 468 – Novembre 1992

La démocratie athénienne
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