C’est la rentrée ou comment utiliser la philatélie à l’école Autres spécialités, Méthodologie

Quel(s) rapport(s) entre un timbre israélien, une série d’enveloppes Premier Jour surchargées et la rentrée des classes ? Autrement dit comment intéresser les élèves et faire passer des notions peu digestes grâce à la philatélie ? Démonstration.

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Image02Le premier timbre sans valeur faciale apparente a été émis par Israël le 12 septembre 1982. Il représente un rameau d’olivier, est de couleur orange et brun 1. Ce rameau d’olivier ornera le courrier israélien jusqu’au 8 mars 1988 inclus, date à laquelle son successeur sera émis. Ce sera une fleur de tournesol 2. Il a donc pu servir durant plus de cinq années et demie. Comme son successeur et afin de faciliter le traitement automatique des plis, il est (normalement) marqué d’un trait d’encre phosphorescente à droite.

Dentelé 13 x 14, imprimé en photogravure, il a d’abord et surtout été conditionné en feuilles de cinquante (cinq rangées de dix). 3

1 et 2

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Image053et 4 

Moins de deux années plus tard, en 1984, est mis en place un nouveau conditionnement, prenant la forme de mini-feuilles 4 de trente-deux unités, positionnées de façon telle qu’à la découpe cela donne deux rangées de huit. Ces dernières serviront à la confection de carnets 5.

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Deux tirages qui posent questions

Le deuxième tirage (ie. celui du 31 août) n’est pas sans poser des questions. Il a en effet été imprimé seulement cinq jours avant la mise en vente officielle (le 4 septembre). Plus surprenant encore, ce second tirage survient sept mois après le premier sans qu’aucun carnet n’ait été mis en vente. Pourquoi donc un re-tirage ? Pourquoi si tard ? Cela fait très peu de marge et suggère un problème de sous-approvisionnement de certains bureaux de vente ou bien encore un accident survenant lors de la confection des carnets. Cette hypothèse n’a toutefois pas été confirmée, du moins pas à ma connaissance.

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Il existe également un entier postal 6, la vignette étant grise (des nuances de gris existent, allant du vert-gris pâle au gris foncé). Cet entier est exclusivement destiné à l’usage intérieur. Il s’agit d’un bristol blanc mesurant 145mm de longueur pour 95mm de hauteur. Lui aussi est marqué d’un trait d’encre phosphorescente, situé à gauche du timbre (et en dehors de celui-ci). Il a été émis le 7 août 1983 et vendu 2,30 sheqel. Il a été régulièrement réévalué : la première augmentation date du 15 septembre (sa valeur passe à 2,40 sheqel), la deuxième du 2 octobre 1983 (sa nouvelle valeur étant alors de 2,50 sheqel)… Une brève étude des variations de tarifs à cette époque permet de dire que cet entier était vendu 0,30 sheqel de moins que le timbre lui-même. Un bonus aux correspondants peu bavards, en quelque sorte…

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Comme beaucoup de timbres de ce pays, il est possible de les trouver avec des inscriptions marginales, les « fameux »  tabs. Si, dans le cas des mini-feuilles, les marges ne contiennent « que » des dessins ou rien, dans le cas des feuilles on rencontre des tabs avec la mention « Pour une distribution plus rapide de votre lettre, indiquez le code postal » 7.

Une certaine série d’enveloppes 1er jour…

Ce timbre au rameau d’olivier a subi, ce n’est pas étonnant en période d’inflation, de très nombreux changements de prix. Sa valeur fiduciaire a considérablement varié au cours du temps. Il est une trace de ces variations financières qui mérite notre attention. Je l’ai rencontrée, pour la première fois, il y a quelques années sur Internet, au détour d’une petite annonce parue aux Etats-Unis, un collectionneur cédant un lot de six cartes analogues à celle-ci 8

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Sur cette enveloppe, on voit très nettement les trois éléments ajoutés au format originel 9 :

  un rameau d’olivier, sur la partie gauche,

– un cartouche, avec un texte annonçant l’usage du timbre,

– un court texte, sur quelques lignes, décrivant le changement de valeur.

Ces éléments sont indiscutablement imprimés en typographie, celui qui a fabriqué ces enveloppes ayant sans nul doute confectionné un tampon (en caoutchouc, en bois ???) sur lequel les éléments à imprimer apparaissent en relief et à l’envers. Impression à main, rotative ? Je penche pour une impression manuelle, dans la mesure où l’emplacement de ces éléments ajoutés varie d’une émission à l’autre.

Plusieurs questions se posent à propos de ces enveloppes :

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– Qui les a fabriquées ? Ce qui est sûr, c’est qu’il ne s’agit pas du Service philatélique d’Israël qui, lui, n’a émis que l’enveloppe premier jour initiale (voir 9). En compulsant de vieux exemplaires de la revue Israel Philatelist, organe de la Society of Israel Philatelists, association créée en 1948 et regroupant des collectionneurs de timbres d’Israël vivant dans le monde entier, j’ai peut-être une idée : les seules annonces de parution de ces enveloppes Premier Jour surchargées sont l’œuvre d’un marchand de timbres américain, Garel Ind. Inc. habitant Hewlett, dans l’état de New York. Dans un de ses textes-annonces, il dit ceci : « These modern FDC rarities are not avalaible from Israel Philatelic Services and only from a handful of dealers. », ce que l’on peut traduire très librement par « Ces enveloppes Premier Jour rares ne peuvent pas être obtenues auprès du Service Philatélique d’Israël mais en s’adressant à une poignée de négociants. ». Mon petit doigt me dit que cette poignée se réduit en fait à une unité et que Garel Ind. Inc fait partie de la poignée. Ce négociant n’a pas produit que des enveloppes Premier Jour surchargées. Il a aussi émis des entiers postaux qu’il a surchargés selon un principe similaire.

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– Combien d’émissions y a-t-il eu ? J’ai réussi à réunir une série de vingt-et-une enveloppes différentes, depuis la première 10 (émise le 9 novembre 1982) jusqu’à la vingt-et-unième 9, mise en vente le 20 septembre 1984.

Cette série est contiguë, en ce sens où l’on peut suivre les changements de dates et où il n’y a pas d’interruption dans les changements de valeur. J’en présente ici sept.

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Les cinq premières 10 à 14, la quatorzième 15 et la quinzième 16 viennent s’ajouter à la dernière – en ma possession – déjà présentée (voir 9). Cette série s’arrêtant le 20 septembre 1984, le timbre Tournesol n’étant émis qu’en 1988, il est probable qu’il y en a eu d’autres. La seule « chose » qui aurait pu freiner l’ardeur créatrice du producteur serait un échec commercial. Si ces enveloppes new look n’ont eu qu’un succès limité, il est fort à parier que le marchand n’a pas poussé très loin la fabrication. Cela me semble d’autant plus probable qu’il a aussi surchargé des entiers postaux. Je n’en ai toutefois trouvé aucun, m’étant contenté – pour l’instant – d’en voir la photocopie de trois exemplaires dans Israel Philatelist.

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Des variétés remarquables

Examinons d’un peu plus près cette série d’enveloppes et plus particulièrement deux des éléments ajoutés « à la main », le cartouche et les indications de changement de valeur.

les cartouches : il y en a eu quatre différents, certains n’ayant servi qu’une seule fois, d’autres plus souvent. Le tableau A fait une synthèse de ces différents usages.

tableau A

– les inscriptions : nous distinguerons, dans celles-ci, les indications de date, les indications de valeur et les commentaires. La date et plus particulièrement le mois du changement s’écrit tout d’abord avec trois lettres et un point (ex : NOV. ou bien encore JAN.). Ce style est utilisé pour les enveloppes 1 et 3 (voir 10 et 12). Le point disparaît lors de l’émission 2 (voir 11), le mois n’étant plus écrit qu’avec trois lettres (DEC). Toutes les autres enveloppes (voir par exemple 16) comportent une date avec le mois écrit en toutes lettres (ex : JANUARY, MARCH ou bien encore APRIL). Les valeurs fiduciaires des timbres sont d’abord écrites « à l’américaine », la virgule étant remplacée par le point. On trouve ainsi, par exemple (voir 10) 1.70 (alors que nous écrivons en France 1,70). Les zéros situés après la virgule sont, un temps, remplacés par un tiret. On aura ainsi, sur les enveloppes émises en janvier 1983, 2.- (pour 2.00 à l’américaine ou 2,00 à la française). À partir de la cinquième enveloppe (voir 14), les valeurs sont écrites « normalement », la virgule étant une vraie virgule.

– les commentaires : par commentaire, nous entendons les mots positionnés sur la deuxième ligne. Lors de la gravure du tampon ayant servi pour la surcharge, la deuxième ligne a été l’occasion d’une distraction de l’ouvrier. On peut en effet y lire « SAME PTAMP FIRSTxxx » B

Ptamp et non pas Stamp. Vous allez me dire que l’ouvrier devait en avoir une bonne pour faire une telle erreur et confondre un S et un P. Je ne vous suivrai pas dans cette voie, non pas par charité mais parce que je dispose d’un élément qui me laisse à penser qu’il faut peut-être en chercher la raison ailleurs. Même si je n’ai pas réussi à mettre la main sur un entier postal surchargé, je dispose de photocopies, disais-je un peu plus tôt. Il se trouve que les surcharges imprimées sur ces entiers comportent le même rameau d’olivier, le même cartouche et des commentaires légèrement différents. Ceux-ci sont sur quatre lignes au lieu de trois. La première donne la valeur précédente (PREVIOUS VALUE x,xx SHEQEL). La quatrième et dernière donne la nouvelle valeur (NEW VALUE x,xx SHEQEL). La date de changement de valeur est mentionnée sur les deuxième et troisième lignes (alors qu’il n’y en a qu’une pour les enveloppes –voir ci-dessus–). La troisième ligne ne comporte que la date du changement de valeur (par exemple 2 OCTOBER 1982) et la deuxième les mots suivants : SAME POSTCARD FIRST DAY ! Vous m’avez sûrement compris. Je présume que l’ouvrier a repris le même cachet ou plus précisément le même morceau de cachet, a enlevé le mot POSTCARD et a rajouté le mot STAMP à la place. Du moins, c’est ce qu’il avait l’intention de faire. Il s’est juste arrêté à la lettre O de POSTCARD, a laissé le P et a repris son travail. Un instant de distraction. Tirée par les cheveux, mon explication ? J’en conviens, mais je n’en ai pas d’autre… 

Un formidable outil pédagogique

Revenons, pour finir, sur le titre de cet article. « C’est la rentrée ! ». Quel rapport donc entre un timbre israélien, une série d’enveloppes Premier Jour surchargées et la rentrée des classes ?  Je crois simplement qu’avec quelques éléments judicieusement choisis (ici, cette série d’enveloppes), on peut arriver à intéresser les élèves à des sujets pas toujours faciles à faire passer. Outre les thèmes / matières évidents (Israël = géographie… Où est situé ce pays ? Quels sont ses voisins ? Quelle est sa monnaie ?…), une telle série met en exergue la notion d’inflation. C’est quoi ? Comment se traduit-elle ? Concrètement, cela veut dire quoi pour les gens comme vous et moi ? On pourra ici rappeler l’anecdote en vogue au début des années 1980 dans ce pays : « Lorsqu’on demandait s’il revenait moins cher de prendre un taxi ou un autobus pour aller de Jérusalem à Tel Aviv, alors que les prix en sheqels étaient presque identiques, la réponse était invariablement : le taxi. Pourquoi ? Parce que, contrairement à l’autre moyen de transport, on règle le chauffeur de taxi en fin de course (le sheqel valant moins cher à l’arrivée qu’au départ) ! »

Nos « chères têtes blondes » sont rompues au maniement de la souris et d’Internet. On peut donc, par exemple, leur fournir ce tableau Excel D et leur demander de traduire cette inflation en graphique.

tableau D1

tableau D

Tous ces résultats mis en forme avec Excel (D1, D2, D3) mettent en lumière plusieurs phénomènes assez impressionnants : 50 ou 60 % d’augmentation du prix du timbre en un peu plus d’un mois. Qu’est-ce que cela donnerait si cela était appliqué à la baguette de pain ? au litre d’essence ?… On peut aussi jouer les Madame Irma et tenter de déterminer la loi de progression et faire calculer aux élèves le prochain prix (je suis d’accord, ce ne sont pas des élèves de CM2 qui pourront le faire…).

Ensuite, presque inévitablement, on voit arriver les questions sur les raisons qui conduisent à de tels désordres, ce qui, dans le cas d’Israël, va permettre d’évoquer la guerre du Kippour, les mécanismes de régulation mis en place pour gommer les effets de l’inflation, le choc pétrolier…

Cet article avait deux objectifs. Le premier était d’évoquer ce qui s’est passé sur les bords du Jourdain il y a une trentaine d’années et les conséquences que cela a eu sur le prix du timbre. Tout est parti de la découverte d’une série d’enveloppes Premier Jour surchargées, vraisemblablement par un négociant américain. Ensuite, ce n’est qu’affaire d’observation, de curiosité et d’un peu de logique.

Le second objectif était d’inciter mes collègues professeurs (eh oui, j’en suis !) à faire appel plus souvent à la philatélie dans leurs classes. Ils y trouveront souvent des illustrations à leurs leçons et verront alors les élèves (re)devenir – un instant – intéressés.

Alain Vailly

C’est la rentrée ou comment utiliser la philatélie à l’école
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