Entre France, Allemagne et Belgique : Eupen et malmédy au gré des soubresauts de l’Histoire… Belgique, Europe, Pays A-F

Une

Eupen et Malmédy… Une »fin de catalogue » belge, 51 timbres émis en 1920 et 1921, pas de cotes mirobolantes (beaucoup ne dépassent pas les 10 F, un seul atteint les 400). Mais une collection philatélique et pré-philatélique passionnante : celle d’une région que les aléas de l’Histoire n’ont pas épargnée.

 

CarteA quoi correspondent ces timbres belges surchargés « Eupen & Malmédy », avec faciale en marks et en pfennigs, émis le 1er janvier 1920 ? Pour le comprendre, un petit flashback historique est nécessaire. Situés sur la « ligne de partage des langues » – Malmédy est en grande partie francophone, Eupen parle surtout allemand, tout comme Saint-Vith, l’autre ville importante de la région -, ces « cantons de l’Est » ont longtemps attisé la convoitise de leurs différents voisins : une situation que l’on peut percevoir à la simple vue de leur position géographique, frontalière tout à la fois du Luxembourg, de l’Allemagne et des Pays-Bas.

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1 – Néau, c’est le nom français d’Eupen. Ici sur lettre de 1802,
avec le numéro de département 96 : celui de l’Ourthe,
l’une des divisions administratives des territoires conquis par les années de la Révolution.

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2 – Lettre de1812 : Eupen est redevenue Eupen,
mais est toujours française.

 

 

 

 

 

Les lettres ci-dessus (1-2) nous montrent même qu’à un certain moment ils furent… français : annexés par la 1ère République en 1794, intégrés au département de l’Ourthe sous l’Empire (on peut en lire le numéro,96, sur les griffes postales rouges). Détail significatif : en 1802,le libellé du cachet est « Néau », le nom français d’Eupen ; dès 1803, la ville reprend son patronyme allemand. Pour ne pas choquer les susceptibilités locales, probablement…

033 – Pli recommandé d’Eupen, 1816 : depuis un an, la région est prussienne.

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4 – Un pli remarquable : affranchi avec des timbres de Prusse,
posté à Eupen le 29 novembre 1859, il est arrivé à Londres le lendemain même.

 Eupen encore, mais avec griffe prussienne, sur cet intéressant recommandé de 1816 (avec étiquette numérotée et cachet d’arrivée à Cologne) (3). Par la grâce du Congrès de Vienne (1815) qui régla le sort de l’Europe après l’épopée napoléonienne, la région est devenue partie intégrante de la Prusse, les premiers timbres à y avoir été utilisés furent donc, à partir de 1850, à l’effigie du roi Frédéric-Guillaume IV (4).

 05-065 et 6 – Premières émissions surchargées « Eupen & Malmédy »
avec valeurs en monnaie allemande, utilisables de janvier à mars 1920.

1871 le roi de Prusse Guillaume Ier se proclame empereur d’Allemagne : Eupen, Malmédy et les environs se retrouvent donc allemands, et non plus prussiens. Ils le resteront jusqu’en 1919. Le 28 avril de cette année-là, le traité de Versailles, qui met fin à la Première Guerre mondiale, les rattache à la Belgique. Cette décision ne prendra effet que le 1er janvier 1920. Mais il n’est pas si facile d’installer une nouvelle administration et de modifier les habitudes – l’usage de la monnaie allemande, notamment. A titre temporaire, on surcharge des timbres belges en marks et en pfennigs : ils resteront en service deux mois (5-6).

07-087 et 8 – Deuxième série (mars1920) : timbres d’Eupen et entier surchargé « Malmédy »
avec timbre complémentaire. Le franc belge est désormais la seule monnaie.

 

En mars, le franc circule dans les cantons de l’Est, mais leur statut administratif n’est pas encore celui du reste de la Belgique. Le haut-commissaire qui représente ici le pouvoir royal décide donc de remplacer la précédente émission par deux séries – timbres et entiers surchargés – , l’une pour le cercle de Malmédy (5 mars), l’autre pour celui d’Eupen (20 mars) (7-8).

Les timbres-taxe sont soumis au même traitement. S’ils ne méritent que des cotes minimes en neufs ou oblitérés détachés, leur faible durée d’utilisation en fait de véritables raretés sur lettres ayant circulé.

En mars 1921, en raison de changements de tarifs, une série complémentaire surchargée fait son apparition. Mais les jours du statut particulier des cantons de l’Est sont comptés : à la fin de l’année, plus rien ne les distingue du reste du pays et l’utilisation de timbres spéciaux n’a plus de raison d’être…

Les surchargés sont donc retirés de la vente dans la région concernée pour être remplacés par des timbres belges ordinaires… Jusque-là, rien que de normal. Mais voici plus amusant : les stocks restants – au demeurant peu importants – de nos « Eupen » et « Malmédy » sont alors répartis dans d’autres bureaux de poste belges n’ayant rien à voir avec les cantons de l’Est, où ils seront très officiellement vendus en attendant leur retrait définitif. On trouvera donc sans trop de difficulté des affranchissements mixtes surchargés/non-surchargés avec oblitération de diverses villes du pays.

 

Une Histoire qui se répète ?

Est-ce à dire qu’Eupen, Malmédy et leurs environs sont définitivement belges, que leur histoire postale s’achève enfin sur un chapitre heureux ? Hélas non ! Avec la montée du nazisme et la Seconde Guerre mondiale, c’est de nouveau une période difficile qui se profile à l’horizon.

099 – Seconde Guerre mondiale : le Reich a annexé les cantons
de l’Est et impose ses timbres.

 

Hitler ne pouvait manquer de réserver un sort spécial à une région en grande partie germanophone : elle est l’une de ses premières cibles lorsque, le10 mai 1940, les troupes allemandes envahissent la Belgique. Alors que le reste du royaume est « occupé », les cantons de l’Est ainsi qu’une dizaine d’autres communes voisines sont purement et simplement annexés. Conséquence philatélique : du 25 mai 1940 jusqu’à la Libération, seuls les timbres et entiers allemands ont cours ici (9).

 

10-11

11 – Cachet à date (30-7-1940) célébrant l’annexion – la légende
dit le « retour dans la grande patrie allemande »­ d’Eupen, le 18 mai 1940.

 

 

10 – « Apprenons à connaitre l’Allemagne! » proclame
cet entier illustré d’une vue d’Eupen.

 

Outre deux valeurs célébrant le « retour » à l’Allemagne, le Reich émet des entiers illustrés de vues d’Eupen et de Malmédy avec pour légende « Apprenons à connaitre l’Allemagne » (10). Quant aux oblitérations commémoratives frappées de la croix gammée, elles fleurissent ici et là (11).

Malmédy, dans l’histoire de la Guerre, c’est aussi un nom lié à la contre-offensive désespérée du maréchal allemand von Runstedt à travers les Ardennes qui, en 1944, faillit faire basculer le conflit. La ville eut beaucoup à souffrir des combats. Mais les panzers durent finalement battre en retraite ; au fur et à mesure que les Alliés regagnaient du terrain, l’Administration et la Poste belges remplaçaient celles du Reich.

 

Pas de timbres surchargés, pas d’émissions particulières pour ce second après-guerre et cette deuxième intégration au royaume : l’histoire postale des cantons de l’Est se fond désormais harmonieusement dans celle de la Belgique.

1212 – Lettre en franchise militaire, après le retour dans le giron belge

 

Seule particularité : l’existence pendant quelques années encore d’un Commandement militaire spécial pour les régions précédemment annexées par l’Allemagne. La lettre ci-contre en émane : elle a voyagé en franchise militaire et a reçu le cachet de La Calamine-Neu Moresnet.. vantant le carnaval local (12). Une façon de terminer sur un sourire une Histoire à multiples rebondissements.

 

Paru dans Timbroscopie n° 93 – Juillet-Août 1992

Entre France, Allemagne et Belgique : Eupen et malmédy au gré des soubresauts de l’Histoire…
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