Nouvelles-Hébrides : deux postes locales pour un archipel hybride Non classé

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Des émissions de timbres-poste sur un territoire donné, c’est banal. Des timbres locaux émis par deux nationalités différentes sur le même territoire, c’est moins fréquent. Le cas s’est pourtant produit aux Nouvelles-Hébrides, au début du siècle. Il constitue un épisode parmi d’autres de la lutte d’influence à laquelle se sont livrés Français et Britanniques sur cet archipel d’Océanie.

01Même aspect général pour le 1 penny et le 25 centimes :
un paysage dans un cadre. Jusqu’aux teintes qui  se rapprochent,
centres noirs, cadres rose et carmin.

Situé au nord-est de la Nouvelle-Calédonie, cet archipel de trente-­sept îlots montagneux a connu quelques déboires sur le plan de son identité : Fernandez de Quiros,un Espagnol, le découvre en 1706 et le nomme «Terre australe du Saint-Esprit». Bougainville, en 1768, l’appelle «Nouvelles Cyclades». Cook, lors de son passage en 1773, baptise l’archipel «Nouvelles Hébrides», nom qui lui restera jusqu’en 1980,date à laquelle le territoire accède à l’indépendance sous le nom de Vanuatu. Côté colonisation, ce n’est pas très clair non plus. Jusqu’en 1870, missionnaires et colons français et anglais y débarquent tour à tour, les uns pour évangéliser, les autres pour louer les indigènes au plus bas prix :les îles produisent en abondance café, coprah, maïs, cacao, vanille.

Lassés des uns et des autres, les aborigènes, rendus méfiants, se laissent difficilement convertir et se montrent quelque peu anthropophages ! Ni la France, qui a pris pied en Nouvelle-Calédonie en 1853, ni l’Angleterre, qui a colonisé l’Australie, ne songent à prendre officiellement possession de ces quelques îlots.

La situation va se préciser lorsque les intérêts économiques s’aiguisent. En 1871,les colons français achètent un million d’hectares à la population autochtone pour créer des exploitations agricoles et rachètent 700.000 ha aux colons anglais.

1885 :sans plus de fioritures, la France annexe l’archipel à la Nouvelle-Calédonie. Réaction des colons australiens, intervention de l’Angleterre. Une commission mixte d’officiers français et anglais est chargée de l’administration en 1887. Mais cela ne suffit pas encore à régler tous les problèmes. Après une guérilla administrative de près de vingt ans, la France et l’Angleterre se mettront d’accord en 1906 pour établir un règlement définitif : les Nouvelles Hébrides deviennent le seul condominium franco-anglais qui ait jamais existé, avec un statut qui établit une complète égalité de droits entre les ressortissants des deux nations.

Entre-temps, la lutte d’influence entre colons français et anglais va aussi passer par les timbres. Les premiers à s’organiser sont les Anglais : en 1897, la Compagnie anglo­australienne crée une vignette destinée à affranchir les plis qui circulent dans l’archipel. Représentant Port-Vila, la capitale, il porte les mentions «The Australian New Hebrides Company Limited» et «lnterland Postage». Il s’agit bien d’une émission de poste locale, 1 ‘inscription elle même le dit.

02Une enveloppe de complaisance, certainement, mais qui a
le mérite de présenter au complet la série des timbres locaux
du Syndicat français.

Deux valeurs sont émises : le 1 penny, centre noir, cadre rose; le 2 pence, centre bleu, cadre brun. Ces timbres pouvaient même affranchir la correspondance jusqu’à Sydney, en Australie, où l’on ajoutait un complément d’affranchissement pour la suite du voyage. Des timbres anglais aux Nouvelles Hébrides ? Il fallait des timbres français ! Le Syndicat français décide donc en 1903 d’émettre à son tour des vignettes pour l’affranchissement local. Composée de quatre valeurs, la série comporte deux types. Le principe anglais a été conservé : un sujet central au milieu d’un cadre.

Le 5 et le 25 centimes représentent Franceville dans un cadre de feuillage, sur lequel veillent deux indigènes.

Le 5 c. a un centre vert et un cadre bleu, le 25 c. un centre noir et un cadre carmin.

Le deuxième type ( 15 c. et 1 F) montre un indigène au garde-à-vous devant deux spécimen d’arbres des îles.

03Le type II français change de format. Un timbre assez réussi, très couleur locale,
avec les têtes de « cochon-cerf » bien mises en évidence dans les coins supérieurs.
La mention « Poste locale » est moins visible que sur le type I, en hauteur
sur les côtés droit et gauche du timbre.

Dans les coins supérieurs, le «babi roussa» (cochon-cerf), l’animal le plus répandu de l’archipel. Centre noir, cadre brun pour le 25 c. ; centre bleu, cadre vert pour le 1 F. Cette fois, les timbres portent la mention «Nouvelles-Hébrides, Syndicat français». On ne peut plus clair… Chaque groupe de colons a instauré sa poste privée.

Et ça marche! Quelques temps, en tous cas, le temps que l’Administration prenne ombrage de ces timbres fort peu officiels. Un bureau de poste français fonctionne à Port-Vila depuis 1904, supposé s’approvisionner en timbres à Nouméa (Nouvelle-­Calédonie). Visiblement, des plis affranchis en timbres locaux ont bien circulé même si certains s’avèrent de complaisance.

Toujours est-il qu’en 1907, l’Administration française décide de mettre bon ordre à cette situation. On commence par faire un essai de surcharge sur les timbres néo-calédoniens, mais devant l’importance croissante du courrier, une série spéciale pour les Nouvelles-Hébrides est émise en août 1908.

La poste locale a vécu .de même que la rivalité frondeuse franco-anglaise, apaisée par le statut de condominium. Désormais. les administrations françaises et anglaises vont s’entendre à l’amiable, même si les solutions diffèrent au fil des ans :

-timbres coloniaux anglais et français surchargés «Condominium des Nouvelles-Hébrides» jusqu’en 1911 ;

-dessin identique, mentions en anglais ou en français, faciales en francs ou en pence jusqu’en 1925;

-dessin identique, mentions en anglais ou en français, faciale exprimée dans les deux monnaies sur le même timbre jusqu’en 1938 ;

-dessin identique, valeur faciale unifiée- le franc or-, mais mentions soit en anglais, soit en français jusqu’en 1980.

Une question d’importance : pourquoi nos catalogues ne cotent-ils pas les premiers timbres locaux des Nouvelles Hébrides ? Ils ne dépareraient pas au milieu d’un ensemble aussi complexe, et ils ont le mérite d ‘avoir bel et bien été utilisés.

Paru dans Timbroscopie n° 10 – Janvier 1985

Nouvelles-Hébrides : deux postes locales pour un archipel hybride
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Recent Comment

  1. BUTERI Anne-Marie

    Bonjour, j’ai lu votre article très intéressant et instructif. Je suis nėe aux Nelles-Hébrides en 1954. Sauriez-vous à quelle date a été inaugurée la poste ? Je vous en remercie par avance.
    Cordialement,
    AM BUTERI

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