Aux origines de la philatélie du Pérou Amérique du Sud, Outre-mer, Pérou

Une

L’histoire postale de ce pays d’Amérique latine reste peu connue des collectionneurs français. Cet abrégé ouvre une série de plusieurs articles et pourrait bien susciter des vocations.

01Bien que l’utilisation du timbre­poste eût été approuvée par un décret de 1851, il fallut attendre le 10 mars 1858 pour que la première émission voie le jour. Elle avait été précédée d’un essai de courte durée par l’emploi, à titre expérimental, de timbres imprimés en 1847 par la PSNC (Pacifie Stearn Navigation Company), une compagnie anglaise de navigation qui assurait depuis 1840 la liaison régulière entre Valparaiso et Panama, avec escales dans les ports péruviens d’Iquique, Arica, lslay, Callao, Pisco et Paita. La faible quantité de vignettes utilisées (quatre-vingt-huit suivant certains auteurs) et leur brève durée d’utilisation ­ trois mois à peine, du 1er décembre 1857 au 1er mars 1858 – en font de grandes raretés (1).

Pour les premières émissions et jusqu’en 1879, les timbres furent imprimés d’abord localement par Prugue, à Lima, puis par l’American Bank Notes Company (ABNC). Leur gravure représente trois motifs emblématiques du Pérou :

02- les armoiries du Pérou, dans un blason, le lama, l’arbre à quina et une corne d’abondance (2) ;

03- le lama, familièrement appelé «llamita», animal fétiche et emblématique du Pérou (3) ;

04- le soleil, emblème de l’Empire inca (4).

Premier commémoratif au monde

Seule exception pour cette période, le 5 c rouge Locomotive de 1871, célébrant le 20e anniversaire de l’ouverture de la ligne de chemin de fer de Lima à Callao, serait le premier timbre commémoratif au monde.

05A partir de 1895, apparaissent l’allégorie de la République et les effigies des grandes figures du Pérou : le conquistador Pizarro, l’Inca Manco Capac, le maréchal de la Mar, le président Pierola (5).

Les premiers timbres, imprimés localement, sont non dentelés. Les dentelés n’apparurent qu’en 1866, avec la série des lamas imprimés par l’ABNC. A partir de 1874 – et notamment imprimée par l’ABNC -, les timbres sont dentelés 12. L’impression locale fut réalisée de deux façons différentes :

– En planches, par blocs-report lithographiés, suivant le procédé employé alors.

06- En bandes, à l’aide d’une machine à pédale importée de France, dite machine Lecoq, sur des bandes de papier gommé collées bout à bout, ce qui nous vaut des impressions sur raccord . Ce type d’impression (6) a été utilisé pour le 1 dinero rouge, le 1 dinero vert, le 1peseta brun, le 1 peseta jaune, le 5 c rouge Locomotive et le 2 c gris-bleu Lama de 1873.

Les valeurs d’affranchissement furent d’abord exprimées en monnaies dérivant de l’ancien système colonial espagnol basé sur le peso et l’once espagnole de 29 grammes : 1 peso = 4 pesetas = 8 réales = 8 dineros.

En 1858, le Pérou adopta le système décimal, basé sur le sol, nouvelle monnaie nationale, et le gramme : 1 sol = 100 centavos = 1 peso.

07Il est curieux de noter que pour familiariser les usagers avec le nouveau système, le medio-peso jaune porte dans son cadre gauche la valeur «medio peso» et dans son cadre droit «50 centavos». Ce serait le premier timbre au monde libellé en deux monnaies (7).

Tarification

Pour ce qui concerne les tarifs d’affranchissement, il faut distinguer deux périodes:

– Avant le ter avril 1879, date d’entrée du Pérou dans l’UPU (Union postale universelle), les tarifs étaient régis par des conventions postales bilatérales, notamment avec la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne et la Belgique.

– Après cette date, s’appliquèrent les règlements et tarifs internationaux fixés par l’UPU.

088 Affranchissement mixte Grande-Bretagne/Pérou. Lettre de Tacna à Castillon (France)
prise en charge par le Bureau Consulaire d’Arica, port desservant Tacna, portant différentes marques :
« lnsufficiently prepaid », marque d’échange franco-britannique
« GB 1F90″, »Ambulant Calaise et taxe au tampon 24.

La convention postale avec la Grande­Bretagne prévoyait en particulier que le courrier destiné à l’étranger et qui transitait par la voie anglaise, assurée alors par la PSNC, devait être remis aux bureaux consulaires britanniques (BPO, British Post Office) des ports d’escale, où ils recevaient l’affranchissement convenable en timbres anglais. Si le pli, venant de l’intérieur du pays, devait passer par la poste péruvienne, il devait avoir été affranchi au préalable par un timbre péruvien de 1 dinero représentant le port local, ce qui donne lieu à d’intéressants affranchissements mixtes Grande-Bretagne/Pérou (8). Les lettres ainsi affranchies étaient oblitérées du cachet du bureau anglais, qui annulait les timbres anglais, ainsi que le timbre péruvien si celui-ci n’avait pas été préalablement oblitéré par la poste péruvienne.

Les bureaux consulaires anglais du Pérou étaient dotés des cachets oblitérants suivants : C38 (Callao), C36 (Arica), C42 (Islay), C43 (Paita), D74 (Pisco), D87 (Iquique).

Ces bureaux furent fermés en 1880 et leurs cachets retournés à Londres, sauf le C43 qui fut utilisé par les postes péruviennes pendant encore quelques années.

L’entrée du Pérou dans l’UPU coïncida avec le déclenchement de la guerre du Pacifique contre le Chili. En raison de la tournure des événements militaires, qui fut défavorable aux Péruviens, le fonctionnement du service postal subit de multiples vicissitudes qui firent de l’émission de 1874-1879 probablement l’une des plus surchargées au monde.

09 09bis10Cette émission subit au cours des quatre années que dura la guerre et de l’année suivante (1885), où sévit la guerre civile, pas moins de sept surcharges diverses (9), parfois superposées, que nous étudierons prochainement (9 bis). En outre, en 1894, le stock restant fut surchargé d’un médaillon à l’effigie du président défunt Morales Bermudez (10).

La guerre du Pacifique donna lieu à des événement postaux intéressants, en marge des émissions officielles.

Pendant trois années, le Pérou fut coupé en deux, de 1880 au 23 octobre 1883, date de la signature du traité de paix d’Ancon :

11- Il y eut, d’une part, le Pérou occupé, qui employa les timbres à surcharge du type 9c, 9d, 9e ; puis, à partir du 10 juillet 1882, les timbres chiliens rendus obligatoires jusqu’à la paix, le Pérou étant alors considéré comme une province postale du Chili dépendant de la direction de San- tiago et utilisant les tarifs postaux du Chili, alors encore non membre de l’UPU. On trouve ainsi des timbres chiliens de l’émission de 1877 oblitérés de Lima, Callao, Truxillo, Paita, Pisco, etc. (11).

1213- D’autre part, le Pérou non occupé, que l’on pourrait appeler le Pérou libre ou gouvernement d’Arequipa, qui résistait à l’occupant et s’était doté d’une administration d’Etat, imprimant ses propres timbres, dits improprement «départementaux» (12 et 13). Ces émissions, tout à fait régulières, quoique non émises par le gouvernement central de Lima, n’étaient pas reconnues par le Chili ni par les Etats membres de l’UPU. Les lettres ainsi affranchies étaient donc taxées à l’arrivée comme non affranchies.

Pour terminer ce tour d’horizon rapide des émissions postales du Pérou des origines à la fin du XIXe siècle, disons un mot des routes d’acheminement existant à cette période.

L’acheminement du courrier vers l’Europe et l’Amérique du Nord était essentiellement assuré par voie maritime.

La compagnie anglaise PSNC, qui exploitait déjà la ligne Valparaiso-Panama depuis 1840, ouvrit une ligne en 1868 qui reliait Southampton et Valparaiso puis, épisodiquement, Callao via Bordeaux par le détroit de Magellan.

Une ligne française fut ouverte le 14 mars 1872 par la Compagnie transatlantique entre Valparaiso et Panama dans la perspective d’une ouverture prochaine du canal de Panama. Cette ligne, dite ligne « F », devait assurer la correspondance entre les paquebots français de la ligne«A» reliant Saint-Nazaire à Colon. Mais les travaux du canal rencontrant des difficultés considérables – il ne fut finalement ouvert qu’en 1914-, la ligne fut supprimée le 18 février 1874. A Panama, le courrier était transféré par voie terrestre à dos de mulet puis par chemin de fer, et remis à Colon aux navires partant pour l’Europe, steamers anglais et paquebots français de la ligne «A» notamment.

Le Pérou fut autorisé par l’UPU à percevoir 1 centavo pour le transfert du courrier à travers l’isthme, ce qui porta de 10 à 11 centavos le port simple pour l’Europe via Panama.

Paru dans Le Monde des Philatélistes n° 541 – Juin 1999

Aux origines de la philatélie du Pérou
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