L’art du portrait Autres spécialités, France, Monaco, Andorre, Sujets généraux, Thématiques

Une

Comparée à d’autres pays, la production philatélique française a toujours privilégié le portrait. Les principaux courants et thèmes de cette production sont rendus par le portrait. Analyse.

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D’abord les timbres d’usage courant qui présentent les figures allégoriques féminines de la République, depuis la Cérès (1) jusqu’à la Marianne de Briat, ou épisodiquement d’autres figures : les effigies de chefs d ‘Etat – (Napoléon III (2) et Pétain) -, ou des allégories du Commerce, de la Paix (3), de la Poste… Pasteur (4) étant un des rares cas à échapper à cette règle. Les seules exceptions à cette habitude : entre 1943 et 1965, les blasons des provinces et des villes (5), comme timbres complémentaires de timbres de base; et les timbres-taxe ou préoblitérés qui usent de symboles divers (gerbe, coq (6)…).

France combattante et célébrités

07-0809Un deuxième courant a connu une grande importance au lendemain de la première guerre mondiale; sous forme de figures diverses, comme les monuments aux morts, il exprime la France combattante : la Marseillaise, la Veuve, la Marianne secourant les misères…, des figures allégoriques (7 et 8).

Peu après un troisième courant est apparu et qui va prendre une grande importance : les portraits de célébrités (9).

10Essayons de comprendre cet usage privilégié du portrait dans les timbres de France. Entre 1849, date de naissance du timbre, et les années 30, date de la diversification des thèmes, l’histoire de l’art nous apprend que la tradition du portrait est passée par d’importants changements. L’héritage de la grande époque française du portrait paraissait abandonné depuis la Révolution, mais fascinant dans l’Ancien Régime. En effet, du XVe au XVIIIe siècle, à l’époque de la monarchie en même temps que celle de la montée de l’individu, la peinture et la sculpture restituèrent abondamment et avec excellence la représentation réaliste des grands de ce monde, de l’aristocratie, du haut clergé, etc. C’était alors que le portrait possédait une place privilégiée dans l’art européen. Michel de Grèce, parle même de « la dictature absolue de la France sur le reste de l’Europe( … ), toute l’Europe va copier la plus belle réussite de la France : les femmes françaises». André Chastel, quant à lui, insiste aussi sur l’importance de cette réussite du portrait de la femme (10).

«Au début du XIXe siècle, écrit Michel de Grèce, la révolution, les guerres, tous ces événements d’importance se précipitent… La peinture devient principalement historique, en partie grâce à Napoléon, qui, entre autres idées géniales, a celle d’inventer la propagande : il fait graver et reproduire à des milliers d’exemplaires les tableaux de ses victoires. Les portraits représentent les innombrables héros que l’époque engendre. Dans ce monde de soldats, la femme est maltraitée. La mode est disgracieuse. Elle pose avec raideur, épaisse… (op. cit. p. 14). »

D’autres font remarquer que la Révolution française aurait permis «l’essor de la très féconde production du portrait bourgeois du XIXe siècle, qui adopta tout d’abord les poses et les attitudes de la production aristocratique précédente mais qui, plus tard, notamment avec les impressionnistes, acquit une grande liberté formelle ».

De plus, dans le domaine du portrait, l’événement important de la fin du XIXe siècle est l’avènement de la photographie : le moyen par excellence de réaliser un portrait à la portée de tous. Le portrait se démocratise, se diffuse partout, et de ce fait sa marque idéologique se dilue. Il devient platement fonctionnel pour le fichage des individus; il entre dans l’usage commun des photos de famille, dans l’utilitaire des reportages, de la publicité, etc.

C’est à ce point de décrochement que l’on peut comprendre la rupture des artistes avec la grande tradition française du portrait : les « avancées » de l’art du XXe siècle se caractérisent par le « non-figuratif », le « non-portrait », ou alors par le traitement plus ou moins violent et déformant de la figure. En 1996, la grande exposition de l’art du portrait par Picasso témoigne de ce bilan, en même temps qu’elle montre que cette fin de siècle marque un dépassement du primat de l’abstrait -un retour au réalisme, sinon à la figure.

Un héritage direct de l’art français

Mais plus largement et plus profondément que cet héritage direct de l’art français, le portrait dans l’histoire de l’art se résume à trois fonctions :

– la forme héritée la plus ancienne et la plus récurrente est le portrait funéraire, connoté de religieux; on connaît l’emphase du XIXe siècle dans l’art funéraire et sa statuaire, jusqu’aux monuments aux morts de 1914-1918 ;

– l’héritage presque aussi ancien, du modèle de l’Antiquité, lorsque le portrait était la marque du pouvoir sur les pièces de monnaie – une invention des Grecs, une grande pratique des Celtes -,soit la double ascendance lointaine de la France, soit aussi le registre de la Renaissance, de la modernité laïque ;

– enfin dans cette coulée de la marque du pouvoir, le portrait s’est fortement développé pour marquer la distinction des classes supérieures de la société : soit d’une part le modèle de l’Antiquité romaine, avec sa floraison de sculptures, modèle des médailles ; et soit, d’autre part, le modèle de la société aristocratique depuis la fin du Moyen Age, puis de la société bourgeoise consacrée par la Révolution française.

11Entre 1849 et les années 1920, tant que le timbre-poste de France se limite, pour l’usage courant, aux figures allégoriques (ou à la figure de Napoléon), il s’inscrit dans l’héritage de la marque du pouvoir et du régime ; il double la pièce de monnaie, il est une pièce de monnaie en papier (11).

12Cependant si la « grande tradition française » de l’art du portrait est menacée en cette seconde moiti é du XIXe siècle, si elle est dévaluée par l’avènement de la photographie, si elle est mise à mal dans les avancées de l’art au XXe siècle, on note que le traitement du portrait par le timbre se maintient dans une distinction : par la technique de la gravure, par la qualité du dessin, par le choix des sujets (figure de la République, effigie de l’Empereur, figures du héros, de la victime, du secours, etc.), enfin par la pose bienséante et respectable de ces sujets, à la façon des statuaires et médailles de l’époque (12).

Mais pourquoi, dans les timbres de France, tant de figures allégoriques féminines qui paraissent lourdes, raides ou mièvres, en rupture avec le meilleur de la tradition française du portrait : la façon alerte, enlevée, fugitive, élégante de rendre la femme ? On opposera ici les remarques de Maurice Agulhon sur les portraits d e la République a u XIXe siècle et celles d’André Chastel sur l’art du portrait durant l’Ancien Régime.

13On relèvera enfin deux problèmes spécifiques à la France. Par le timbre-­poste, la République française cultive l’image de la tête de la nation, en sachant que la tête du roi a été tranchée ; la figure allégorique remplace indéfiniment la figure réaliste du roi ; la figure de femme pour celle d’un homme ; voilà pourquoi, sans doute, la femme­France (13) s’entretient aussi longtemps sur le registre allégorique, tandis que les hommes célèbres montent au créneau du portrait réaliste pour « faire pièce » au vide laissé par la figure du roi : la Légion d’honneur, le Panthéon des hommes est l’outil de propagande d’une République qui ne cesse de combler ce vide. Cela mérite, évidemment, un traitement prestigieux, une distinction du portrait qui passe outre la « crise de l’art du portrait » à l’époque.

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17-18Deuxième problème : la nécessité d’entretenir une propagande laïque, un discours-image laïque de la France, alors qu’on sait l’importance de la marque de l’Eglise avec ses imageries pieuses, sa statuaire d’église, ses images de missel, sa litanie des saints. D’où l’inflation, au XIXe siècle, de la statuaire publique laïque ainsi que de la statuaire funéraire. En ce sens, le culte des célébrités par les timbres, culte posthume, reprend cette tradition du portrait pour le funéraire, jointe à celle de la distinction des grands. La propagande de l’art du timbre se fait ainsi didactique, pédagogique (14 à 16) (quand on sait l’importance de l’éducation nationale laïque au cours de la IIIe République). D’où le choix privilégié des figures du progrès, de la science, de l’hygiène (17 et 18), et d’où la justification de ces timbres de célébrités par les « causes humanitaires ».

La concurrence des prêtres druides

N’y a-t-il pas, dans cette bataille entre images laïques et images d’église, le modèle de nos ancêtres : c’est parce qu’ils se sentaient concurrencés par le pouvoir des prêtres druides que les chefs celtes auraient émis d’abondantes monnaies, avec leur figure : « Ces images monétaires… sont en fait la seule propagande que les chefs des tribus réussissent à se donner, en échappant ainsi à la chaîne attachée par les druides à l’écriture.»

Si ce double problème – remplacer la figure du roi, entretenir une imagerie laïque – explique les traits singuliers du portrait dans le timbre de France lors de ses premiers développements, on peut se demander comment cette caractéristique va évoluer dans un contexte culturel différent, moins hostile à l’Ancien Régime et plus ou vert au religieux ?

Comment entretenir par l’image un comportement de démocratie républicaine, alors que l’image incite tant au culte des figures, au culte des personnalités ? Comment entretenir un discours-­image qui soit positivement laïque, et pas seulement d’exclusion de tout propos religieux ? Comment enseigner l’histoire ?

Paru dans Le Monde des Philatélistes n° 515 – Février 1997

 

L’art du portrait
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