A la découverte d’un génie : Cheffer (I) France, Monaco, Andorre, Sujets généraux

Une

Henry Cheffer ( 1880-1957 ), petit cousin de Rodin, prix de Rome, peintre, illustrateur, graveur de talent a commencé sa carrière philatélique en 1911… pour le shah de Perse. Epopée d’un géant…

Il arrive dans une vie de philatéliste d’avoir des moments de joie intense. C’est ce qui nous est arrivé lorsque Mme Robert, fille du grand artiste Cheffer, nous proposa de nous ouvrir les archives de son père. Il y avait là des dizaines d’esquisses, de maquettes, d’épreuves de timbres émis ou non émis de France et de Monaco. Notre seconde chance fut notre rencontre avec M. Raymond Duxin, rédacteur en chef de la revue La Philatélie française et ancien rédacteur du Monde des philatélistes. Ayant bien connu Cheffer, il avait fait des clichés de nombreuses maquettes de timbres.

Nous allons, grâce à ces deux personnes qui nous ont donné l’autorisation de le faire et que nous remercions vivement, pouvoir faire partager notre joie à tous nos lecteurs. Nous remercions aussi quelques amis qui nous ont prêté cetaines pièces : MM. Honoré Magaud, Roland Cortay et Yves Dubuis.

Il est tout à fait impossible de présenter l’œuvre philatélique complet de Cheffer. Il s’étend sur des dizaines de pays et a duré de 1911 à 1957. Nous présenterons, en nous aidant de notre documentation personnelle, principalement, les timbres de France ainsi que quelques timbres de Monaco. Nous présenterons aussi quelques vignettes non postales dessinées et gravées par l’artiste.

Pour chaque timbre, nous donnerons un petit résumé des circonstances de son émission, quand nous les connaissons. Nous présenterons, lorsque nous les avons retrouvés, les esquisses, les maquettes, les épreuves, les essais et le timbre définitif.

Cheffer, petit cousin de Rodin

Fils du graveur Emile Cheffer (cousin germain d’Auguste Rodin), toutes les fées des beaux-arts sont penchées sur le berceau d’Henry Cheffer quand il naît à Paris, le 30 décembre 1880, d’une famille originaire de Lorraine.

Il ne peut échapper à son destin et s’inscrit à l’Ecole des arts décoratifs en 1898. Il entre aux Beaux-Arts à Paris en 1901, dans l’atelier Bonnat-Patricot. Le Prix de Rome vient couronner ses études en 1906. La même année il obtient le prix Stigmann de l’Institut.

A la fois peintre, graveur et illustrateur, il maîtrise l’huile, l’aquarelle, le dessin, il sait manier le burin.

Portraitiste de grand talent et paysagiste réputé, ses préférences vont vers la Bretagne. C’est comme illustrateur qu’il se fait connaître le plus vite. Citons (sans être complet) ses illustrations pour la Brière, de Chateaubriant ; Au large de I’Eden, de Roger Vercel ; l’Ombre de la croix, des frères Tharaud·; Aux quatre coins de Paris, de Franck Nohain ; Pêcheur d’Islande, de Pierre Loti. Collaborateur au magazine l’Illustration, il y travaille de 1918 à 1940.

A la chalcographie du Lourre

Graveur sur bois, cuivre et acier, la chalcographie du Musée du Louvre conserve de lui : la Salute, le Pont de Treboul, le Petit Pardon, le Port de Douarnenez. La gravure le Grand Rabbin lui vaut la médaille d’honneur aux artistes français. Mobilisé comme toute sa génération, il obtient la Croix de guerre 1914-1918.

Ses mérites sont amplement reconnus. II est élu membre du Comité des artistes français, membre du Conseil des beaux-arts. Il est fait officier d’académie, officier de l’Instruction publique. Il obtient le Mérite postal, la croix Saint-Charles-de-Monaco. Il est élevé au grade d’officier de la Légion d’honneur. Il obtient le grand prix de l’Art philatélique français en 1956. Il s’éteint, encore en plein travail, après une vie si bien remplie, le 3 mai 1957.

Premier client de Cheffer le shah de Perse

Depuis quelques années, la Perse vivait une période trouble de son histoire. La découverte du pétrole avait éveillé des convoitises. En 1907, Anglais et Russes divisent le pays en deux zones d’influence. Le souverain Mohamed Ali, de la dynastie des Karljar, n’étant pas assez docile, est renversé à la fin de 1999. Il est remplacé par son second fils, Ahmed Mirza, âgé de onze ans. Autour du jeune monarque évolue une faune de courtisans et de ministres cupides. Cependant, il faut maintenir un semblant de royauté. Deux ministres persans se rendent à Paris pour trouver un graveur. Il faut faire des timbres à l’effigie du jeune roi.

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Comme l’a dit Cheffer lui-même : « Après de laborieuses recherches, ils se sont adressés à moi en 1911 pour exécuter une série de timbres. Les premières maquettes furent bien accueillies. Ce furent mes premiers timbres qui ont été exécutés en taille­douce par Enschedé (imprimeur) aux Pays­ Bas. » (1).

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En 1915, le jeune Ahmed fut officiellement couronné shah de Perse. Cheffer fut à nouveau sollicité. II grava une série de trois sujets : couronne royale trône de Darius (2), ruines de Persépolis. Le shah régna quelques années encore avant d’être renversé par le général Reza qui mit fin ainsi à la dynastie Kadjar, institua celle des Pahlavi, transforma le royaume en Empire. Ce dernier devait à son tour tomber en 1979 et devenir la République islamique sous la conduite de l’ayatollah Khomeini.

Graveur des princes et des rois

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En 1919, Albert 1er, roi des Belges, demanda à Cheffer de lui graver une série de timbres d’après une photographie de R.N. Spaight : « ce fut la célèbre série du roi casqué » (3). Elle eut un succès considérable. C’est toujours, à l’heure actuelle, une des séries les plus cotées de Belgique. Elle fut imprimée en taille-douce par l’imprimerie Enschedé, aux Pays-­Bas.

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D’autres souverains firent appel à Cheffer. En 1921, la grande-duchesse Charlotte de Luxembourg (4) fit graver son portrait par l’artiste d’après un tableau de Johann, l’imprimeur étant toujours le même.

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En 1922, Albert 1er, prince de Monaco (5), fit graver une série par Cheffer avec en particulier son portrait, de profil avec une casquette d’officier de marine. Son fils, Louis II, fit graver deux portraits en uniforme de général de l’armée française (6 et 7). Cheffer dessina et grava encore plusieurs vues de sites célèbres de la principauté que nous verrons plus en détail lorsque nous étudierons la partie Monaco.

Tous ces timbres furent imprimés chez Enschedé, Braun, Boher et Dubois. C’était la première fois que les timbres de Monaco n’étaient pas imprimés en typographie à l’Atelier du timbre, à Paris.

A partir de ce moment l’artiste ne cessa plus de créer et de graver des timbres pour les Pays-Bas, le Danemark, l’Espagne, Andorre, le Liban, l’Algérie, le Maroc, la Sarre, la Tunisie, les colonies françaises le Yémen et, bien entendu, la France. On lui demanda aussi de créer des billets de banque pour l’Algérie, la Tunisie, les Pays-Bas, Java, etc.

Un graveur dans un panier de crabes

Avec un si bon graveur sur place, on peut se poser la question de savoir pourquoi la poste française mit si longtemps à faire appel à lui pour composer des timbres.

La réponse est simple. Cheffer était graveur en taille-douce, or l’Atelier du timbre, boulevard Brune à Paris, n’imprimait que des timbres en typographie; c’est-à-dire la technique totalement inverse. La taille-douce imprime par les creux de la planche, la typographie par les saillies (comme un tampon).

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Depuis que la France essayait de faire des timbres « artistiques » (Orphelins, Jeux olympiques, Arts décoratifs), on s’était bien rendu compte que les résultats étaient navrants et qu’il faudrait bien, tôt ou tard, changer de technique. Le comble de l’horreur fut atteint avec le timbre « Jeanne d’Arc Orléans 1429-1929″. Cheffer avait présenté un maquette mais elle n’eut que le deuxième prix (8).

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On avait retenu le projet de Barlangue (9). Lorsqu’on vit paraître le timbre, certains allèrent jusqu’à écrire que ce timbre était le deuxième martyre de Jeanne d’Arc.

Avec la typographie, on perdait des clients. Albert 1er de Monaco n’avait-il pas commencé à imprimer ses timbres en taille-douce chez Enschedé, aux Pays-Bas…

Changer le mode d’impression nécessitait de nouveaux graveurs, de nouvelles techniques, de nouvelles machines, bref un investissement considérable. Or l’Atelier du timbre de Paris n’avait pas d’argent pour de telles transformations.

D’ailleurs, au sein même de l’Atelier, deux clans s’opposaient dans une lutte sournoise : les partisans de l’héliogravure et ceux de la taille-douce. Le chef de file des premiers était Carlos Courmont. Il avait depuis 1922 le monopole de l’impression de la couverture des carnets de timbres-poste. Il faisait imprimer chez Archereau, à Paris, souvent sous la dénomination Hélio-Courmont. Les publicités autorisées sur les couvertures de carnets lui rapportaient des sommes confortables. A partir de 1924, il obtint même l’autorisation de faire figurer de la publicité sur les marges des timbres, ce qu’il réussit à faire grâce à un ingénieux système de clichés de zinc amovibles qui lui permettaient toutes les combinaisons et modifications possibles.

Une autre imprimerie aurait aimé que l’on fasse les timbres en héliogravure. C’était Hélio-Vaugirard, qui inondait le marché de superbes vignettes publicitaires pour les expositions, foires, commémorations. Auprès de ces vignettes multicolores, il faut bien le reconnaître, les timbres-poste faisaient pâle figure, ce que ne manquaient pas de souligner les journaux et les revues philatéliques.

Pour tous ces héliograveurs, l’idéal aurait été que l’Atelier continue sa production d’usage courant en typographie, tandis que les imprimeries privées se seraient chargées de l’impression des timbres commémoratifs en héliogravure. L’affaire aurait été juteuse, on le comprend.

Malheureusement, ils avaient en face d’eux un homme déterminé, L. Demoulin, directeur de l’Atelier du timbre-poste. Il haïssait l’héliogravure: il estimait que ce n’était pas de l’art mais de la banale photographie, que cela ne pouvait produire que de mauvais chromos, des vignettes de chocolat. Pour lui, la France devait faire de chacun de ses timbres une estampe gravée par la main d’un artiste. Un seul procédé pouvait aboutir à ce résultat : la taille-douce (ce en quoi, à notre avis, il avait raison !).

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Il avait comme allié (non désintéressé) l’Institut de gravure, imprimerie privée qui éditait elle aussi des vignettes commémoratives mais en taille-douce (10). Le directeur de cet Institut avait les mêmes arrières pensées que les héliograveurs : laisser l’Atelier du timbre faire les valeurs usuelles et obtenir le monopole des timbres commémoratifs. Après tout de nombreux pays faisaient imprimer leurs timbres dans des imprimeries privées et souvent même à l’étranger.

Mais l’idée de Demoulin était de faire les timbres en taille-douce et à l’Atelier du timbre lui-même. Il était pour lui hors de question de laisser imprimer les timbres en dehors de son établissement. Il trouva pour cela un allié inattendu : la Caisse d’amortissement.

Une caisse qui tombe bien

La Caisse d’amortissement avait été créée après la Grande Guerre de 1914-1918. Son objet était la gestion des bons de la Défense nationale et l’amortissement de la dette publique. La guerre ayant coûté des sommes colossales, il avait fallu emprunter leur or aux particuliers. L’illusion que «le Boche payerait » s’étant évanouie en 1923, il fallait maintenant rembourser. La Caisse d’amortissement avait été approuvée par les deux Assemblées réunies en Congrès à Versailles. Des ressources étaient prélevées de toute part : régie des tabacs, alcools, impôts spéciaux sur la vente d’immeubles, etc., pour permettre à la Caisse de rembourser les emprunts.

Une loi du 26 mars 1927 autorisa au profit de la Caisse d’amortissement et pour une période de cinq ans une émission annuelle de trois petits timbres à surtaxe et l’émission d’un timbre commémoratif, à forte surtaxe, à tirage limité et à validité réduite dans le temps.

Le coup de génie de Demoulin fut de faire ajouter l’article suivant : « La Caisse d’amortissement fera l’avance de l’installation nécessaire pour réaliser l’impression en taille-douce des timbres commémoratifs. »

Ainsi, Demoulin venait par un habile tour de passepasse de se faire payer du matériel neuf par la Caisse d’amortissement, pour réaliser son rêve : imprimer à l’Atelier des timbres en taille-douce. Le coup avait été bien joué.

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Le premier timbre commémoratif fut un timbre appelé par les philatélistes : « Le travail » (11), dessiné par Turin et gravé par Mignon. Mais il semble bien que Demoulin ne put maîtriser la fabrication de ce timbre et qu’il fallut le faire imprimer rapidement et sans tapage à l’Institut de gravure (imprimerie privée). Ce détail, que nous tenons de notre ami J.-F. Brun, est ignoré de la plupart des philatélistes et même de certains catalogues.

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C’est cependant bien un timbre de Cheffer qui permit de tester les nouvelles presses en taille-douce de l’Atelier du timbre. C’est un timbre de Monaco, commémoratif de l’Exposition philatélique de Monte-Carlo de 1928 et qui, émis en série de trois valeurs, parut le 18 février 1928 (12). La dentelure Il est linéaire et a été faite grâce à une machine à perforer achetée chez Enschedé en Hollande. Il semble bien, cependant, que l’impression ait été réalisée à l’Atelier du timbre et non dans une imprimerie privée.

La belle France

C’est dans cette atmosphère de sourde lutte que fut décidée l’émission d’une série de cinq timbres, représentant des sites et des monuments de France. La décision de création fut prise en 1927. Le motif officiel était de remplacer les cinq grosses valeurs du type Merson. Le motif plus terre à terre était que M. Germain Martin, ministre des postes, voulait faire plaisir à un ami propriétaire d’une agence de voyage, qui désirait faire de la propagande touristique pour la France par l’intermédiaire des timbres­poste. L’idée était bonne et fut acceptée par l’administration.

Comme par hasard cette agence de tourisme éditait chez Hélio-Vaugirard de nombreuses vignettes intitulées « la Belle France » et qui représentaient les principaux sites et monuments admirables de notre pays.

13-1713 à 17

Un concours fut ouvert ; les sujets imposés aux artistes furent : le pont du Gard, le port de La Rochelle, le Mont-Saint-Michel, la cathédrale de Reims, l’Arc de triomphe de l’Etoile à Paris. Hélio­ Vaugirard édita de superbes vignettes de ces cinq sites (13 à 17) en espérant que les timbres seraient édités en héliogravure. Pour ne pas être en reste, Hélio-Courmont présenta un 3 F, cathédrale de Reims magnifiquement exécuté, aussi en héliogravure.

Mais en face, Demoulin tint bon et résista à toutes les pressions. Il attendait que son matériel de taille-­douce soit parfaitement au point et seulement à ce moment donna les résultats du concours :

Cheffer ferait le 20 F Pont du Gard et le 10 F La Rochelle.

La maquette de Bivel du 5 F Mont-Saint-Michel serait gravée par Abel Mignon.

La maquette de Vérèque du 3 F Cathédrale de Reims serait gravée par Dezarrois.

Une seconde maquette de Bivel du 2 F Arc de triomphe serait gravée par Delzers.

Demoulin avait définitivement gagné : les cinq timbres allaient être exécutés en taille-douce. L’héliogravure avait perdu la partie. En 1932, Demoulin publia aux éditions Yvert et Tellier un livre intitulé les Timbres-poste français. Il y expliqua très longuement son choix résolu de la taille-douce contre l’héliogravure.

18-2018 à 20

Autre grand gagnant : Cheffer. Il avait présenté cinq maquettes (18 à 20), deux avaient été retenues. Il avait l’énorme qualité de pouvoir dessiner un timbre et de savoir le graver lui-même, ce que peu d’artistes étaient capables de faire. Il faisait ainsi une entrée en force dans la philatélie française. Il allait y régner pendant trente ans.

Les avatars du Pont du Gard

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La maquette fut acceptée sans modification (21). Cheffer grava un premier poinçon sur acier. Pour le durcir, il fut nitruré, il donna le type 1 du timbre. Ce fut le premier timbre français gravé en taille-douce, imprimé sur le matériel de l’Atelier. L’impression se faisait à plat, sur presses à bras, avec essuyage à la main, en feuilles de cinquante timbres. La dimension du timbre était de 40 x 25,5 mm, celle de l’image 35,8 x 20,6 mm, la dentelure de 13,5. Il y eut probablement trois planches reconnaissables aux marques de contrôle de la marge. Le papier est blanc opaque épais. Imprimé à partir de février 1929, il fut émis le 15 mai 1929 et imprimé jusqu’en 1930.

Tout marchait très bien, Demoulin était ravi quand patatrac en 1930, premier incident : un tirage du Pont du Gard fut imprimé sur du papier coupé dans le sens perpendiculaire à la normale. Au séchage le papier se rétracta, tant ou si bien qu’il devint impossible de denteler les timbres avec la machine habituelle. On utilisa donc la machine hollandaise qui avait servi à denteler le timbre de Monaco de 1928 mais qui donnait une dentelure Il linéaire.

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Cet incident produisit une des plus belles variétés de France, le Pont du Gard dentelé Il (22). De nuance orangé clair, ses dimensions sont différentes de celles du timbre normal : 38,5 x 27 mm pour le timbre, 35 x 20,8 mm pour l’image.

Pendant ce temps, l’Atelier modernisait son outillage d’impression en taille-douce. On passa de l’impression à plat, trop lente, à l’impression rotative. En 1931, on demanda à Cheffer un second poinçon du Pont du Gard pour cette impression rotative.

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Il grava un second poinçon qui, cette fois, fut trempé et non plus nitruré et donna le type 2 du timbre (23). Le cylindre d’impression était composé de trois feuilles de 25 avec coin daté. Le timbre est dentelé 13, ses dimensions sont de 40,5 x 26 mm, l’image a 35,8 x 21 mm. Le dessin est beaucoup plus net que pour le type 1, les tailles étant plus profondes. Le tirage commença le 26 octobre 1931. L’émission eut lieu en novembre 1931. Il y eut cinq tirages que l’on reconnaît par les dates, les papiers, les nuances. L’impression dura jusqu’au 18 octobre 1937. Il fut retiré en mai 1938.

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A partir de 1936, en plus de son usage postal, le 20 F servit à payer certaines cotisations pour les assurances sociales (24).

La Rochelle : à l’endroit ou à l’envers ?

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La maquette présentée par Cheffer dut être modifiée. Le cadre, formé de poissons stylisés et entrecroisés, déplut (25). Il le changea pour le remplacer par des maillons de la chaîne qui, autrefois, barrait l’entrée du port.

Le poinçon gravé par Cheffer sur acier doux fut nitruré, il donna le type 1 du timbre. Il servit à faire un cylindre monobloc en acier de soixante-quinze timbres (3 x25).

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Le 10 F La Rochelle type 1 (26) fut ainsi le premier timbre imprimé en taille-douce rotative à l’Atelier. L’impression commença le 22 mars 1929. Il y eut deux tirages que les coins datés permettent de situer: du 22 au 27 mars 1929 avec date et numéro à droite dans la marge; du 19 avril au 8 juin 1929, date et numéro à gauche dans la marge. Le timbre est outremer, le papier mince parfois jaunâtre, il est dentelé 13, son format est de 22 x 36 mm pour le dessin. Il fut émis le 18 juillet 1929.

Une polémique s’engagea dans la presse philatélique. On reprocha à Cheffer d’avoir représenté le port à l’envers, on critiqua la hauteur des mâts, aussi hauts que les tours.

Cheffer dut alors expliquer qu’il avait représenté le port vu de la mer et non de la ville, que le monument que l’on distinguait au fond était l’église Saint-­Sauveur et non la tour de la Lanterne, que les bateaux que l’on voyait en grand nombre au premier plan (des morutiers) étaient dans la rade, c’est-à­ dire dans l’avant-port et que, si les mâts semblaient aussi hauts que les tours, c’était une simple question de perspective.

En 1929, on était dans une phase expérimentale de l’impression en taille-douce. Chaque timbre était une nouvelle aventure. On se rendit vite compte que la confection de cylindres monoblocs de soixante-­quinze timbres était un système beaucoup trop long et difficile pour faire des tirages importants, compte tenu de la technologie de l’époque. Cette présentation, que l’on peut admirer au Musée de la poste à Paris, resta donc unique. Il était beaucoup plus simple de fabriquer des «coquilles » qui étaient des morceaux de cylindres, cintrés, que l’on vissait ensuite pour former un cylindre complet. Les coquilles composant le cylindre étaient en bronze chromé.

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Le premier poinçon au type 1 était trop usé pour resservir. Cheffer dut donc graver un second poinçon appelé type 2 (27) qui, cette fois, ne fut pas nitruré mais trempé pour le rendre encore plus dur. Avec de poinçon, on fit trois molettes qui permirent la confection de trois cylindres. Le tirage du type 2 dura du 29 septembre 1930 au 18 mai 1936 en feuilles de 25 avec coin daté et du 19 novembre 1937

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Comme le 20 F Pont du Gard, le 10 F La Rochelle servit à partir de 1936 comme timbre des Assurances sociales pour régler certaines cotisations (voir photo 26). Il fut retiré le 20 mars 1939. Il avait eu un tirage total de 4 500 000 unités. Bien entendu, tous ces poinçons molettes-tirages donnèrent de nombreux types et états qui font la joie des spécialistes (28).

Paru dans Le Monde des Philatélistes n° 446 – Novembre 1990

A la découverte d’un génie : Cheffer (I)
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