Le jour où Napoléon décora 2000 braves de la Légion d’Honneur Autres spécialités, France, Monaco, Andorre, Sujets généraux, Thématiques

Une

Boulogne est liée à deux événements marquants de notre Histoire : une expédition militaire avortée qui, si elle avait réussi, aurait changé la face du monde, et la plus grande cérémonie de remise de médailles qu’on ait peut-être jamais vue.

 Deux noms pour un timbre

En 1954, un timbre commémorait un double cent-cinquantenaire. Les collectionneurs le désignent sous les deux noms de « Légion d’Honneur » et de « Camp de Boulogne ».

Le Camp de Boulogne, ce fut cette gigantesque concentration de troupes décidée en1803 par Bonaparte, alors Premier consul, en vue d’envahir l’Angleterre. Plus de cent mille hommes y attendaient les navires qui devaient leur faire traverser la Manche.

Un an plus tard, la flotte française, bloquée par les Anglais dans la rade de Cadix, n’a toujours pas réussi à desserrer l’étau. Mais Napoléon1er – il a été proclamé empereur entre-temps – profite du rassemblement de sa Grande Armée pour organiser une gigantesque distribution de médailles de l’ordre qu’il vient de créer : notre Légion d’Honneur.

Cette extraordinaire cérémonie se tint le 14 août 1804. Après de somptueux défilés et l’exécution d’une Symphonie militaire sous la direction du compositeur Méhul – l’auteur du Chant du départ -, l’empereur décora lui-même quelque deux mille officiers, sous-officiers et soldats. Et, comme il les connaissait presque tous personnellement, adressa à chacun quelques mots de félicitations… Dans ces conditions, l’on comprend que, commencée vers midi, la remise des médailles ait duré jusqu’au soir.

01Ces deux mille militaires n’étaient pourtant pas les premiers médaillés : le 15 juillet, dans le « Temple de Mars » – aujourd’hui Hôtel des invalides -, Napoléon avait déjà présidé une cérémonie de même nature : les récipiendaires, beaucoup moins nombreux, étaient pour la plupart des personnalités civiles parisiennes. Un tableau de Debret, reproduit sur timbre de Haute-Volta (ci-dessus), nous fait goûter à ce faste impérial.

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Lettre du grand chancelier de l’ordre, le naturaliste Lacépède : Napoléon a eu l’habileté de ne pas nommer un militaire à la fonction suprême de la Légion d’Honneur. Elle porte la griffe noire « Consuls de la République », mais est pourtant datée de vendémiaire an XIII (octobre1804),soit quatre mois après la proclamation de l’Empire. A-t-on attendu le sacre (décembre) pour faire disparaître toutes les mentions républicaines ? Un lecteur historien nous renseignera peut-être.

 Un ordre strictement hiérarchisé

HierarchiseA l’origine, la Légion d’Honneur comportait quatre degrés : légionnaires, officiers, commandants et grands officiers. Il est aujourd’hui constitué de trois grades (chevalier, officier, commandeur) et deux dignités (grand officier et grand-croix).Si la médaille est la même (étoile blanche à cinq doubles pointes entourée d’une ceinture de feuillage), la façon de la porter diffère. On peut voir sur timbre la croix de chevalier (sur la poitrine du gouverneur Cureau), la cravate d’officier (obtenue à titre militaire par le colonel Denfert-Rochereau, à titre scientifique par Cuvier ou Portal, et même aux deux réunis par le médecin militaire Desgenettes et l’ingénieur militaire Ferrié).

C’est la plaque de grand officier ancienne manière que l’on remarque sur la poitrine du maréchal Lannes. Quant au général de Gaulle, sa Légion d’honneur ne dépasse pas de sa poche, comme pourrait le laisser croire ce timbre-photo : il la porte suspendue à une écharpe en sautoir, signe distinctif des grands-croix.

 Et à la boutonnière

BoutonniereOn peut avoir reçu la Légion d’Honneur et rester modeste. Ainsi, plutôt que de l’arborer ostensiblement en toute occasion, on la remplace le plus souvent par un petit ruban rouge (chevalier) ou une rosette (simple, sur demi-nœud argent, argent et or ou plein or, selon le rang) au revers de son veston. Même si le portrait du président Mitterrand est d’une ressemblance douteuse, sur ce timbre de république Centrafricaine, le dessinateur n’a pas omis sa rosette : le chef de l’Etat est en effet promu grand-maître de l’ordre dès son entrée en fonction. Ce fut donc le cas de Raymond Poincaré, même si aucune médaille ni rosette ne le signale sur son effigie, alors qu’on trouve le signe distinctif sur celle de son frère, le mathématicien Henri. La rosette orne également le ruban de la médaille au grade d’officier – pour la différencier de celle de chevalier – : elle est bien visible sur l’effigie de Félix Eboué.

 Les femmes aussi

Femmes

L’on raconte que Napoléon ler décora lui-même, à titre militaire, Marie-Jeanne Schellink, qui avait le grade de sous-lieutenant dans la Grande Armée, mais le fait n’est pas avéré. La première femme titulaire de la Légion d’Honneur serait donc Marie-Angélique Duchemin, qui s’était engagée volontaire dans l’armée révolutionnaire : elle fut décorée soixante ans plus tard, en 1851, par le prince-président Louis-Napoléon Bonaparte.

Quoi qu’il en soit, ni Marie-Jeanne ni Marie-Angélique n’ont été timbrifiées. Ce qui n’est pas le cas de la poétesse Anna de Noailles, première femme à avoir été élevée au grade de commandeur, ou encore de Colette, la première à accéder à la dignité de grand-officier (en même temps que la maréchale Lyautey, non timbrifiée).

 

 

 

 

 

J’en veux point !

Point

Personne ne peut vous forcer à accepter une distinction dont vous ne voulez pas… Cela ne vous empêchera pas d’avoir votre timbre après votre mort : là, on ne vous demandera pas votre avis. La Fayette, le chimiste Raspail, Gustave Courbet – entre autres -, font partie de ceux qui pour des raisons diverses, déclinèrent la distinction. Gérard de Nerval l’aura refusée car la cérémonie de décoration impliquait des frais de costume et qu’il était trop désargenté pour supporter. Berlioz, lui, se vit proposer le ruban rouge en lieu et place des 3000 F que devaient lui rapporter son Requiem, commande d’Etat : il refusa le marché. Quant à George Sand, elle prétexta qu’affublée d’une médaille elle aurait trop ressemblé à une vieille cantinière : à en juger par le portrait qu’on lui a fait sur timbre, on ne peut pas lui donner totalement tort !

Jean-Marie Vianney, le premier saint à l’avoir reçue, ne porta sa médaille qu’à une seule reprise : posée sur son cercueil lors de ses funérailles.

 

 

 

 

RichelieuUne médaille napoléonienne au cou de Richelieu !? Non, mais cela lui ressemble.
Il s’agit de l’ordre de Saint­Louis, dont l’insigne est une croix de Malte.
Les branches sont presque identiques à celles de la Légion d’Honneur,
mais elles ne sont que quatre.

 GoetheLa Légion d’honneur n’est pas réservée aux citoyens français :
témoin, l’écrivain allemand Goethe, fervent bonapartiste,
qui fit partie des premiers récipiendiaires.

 RoiRomeLe « roi de Rome », autrement dit l’Aiglon. Fils de Napoléon1er
et de l’impératrice Marie-Louise, il a pratiquement
trouvé sa médaille dans son berceau.

 Villes et drapeaux

VillesDrapeaux

En regardant de près les timbres des séries « Blason », on remarque également la croix de la Légion d’Honneur dans les armoiries de certaines villes de France et de trois cités étrangères : Liège, Luxembourg et Belgrade. Cette distinction signale généralement le comportement héroïque de toute une population pendant une guerre.

On a également décoré des écoles, une grande administration (la SNCF) et les drapeaux de certains régiments : Napoléon III décida en effet que serait ainsi récompensée toute prise d’étendard ennemi. La dernière unité à avoir reçu la médaille est la 1ère brigade de parachutistes coloniaux, en1955, au retour d’Indochine.

 

 

 

 

 

Cantiniere

Une superbe en-tête de « lettre de cantinière » postée à Boulogne en 1811.
On y voit le « collier » du Grand Maître de la Légion d’Honneur ;
les seize anneaux (numérotés 1 à XVI) représentent
les cohortes constituant l’ordre.

 CampBoulogne

Premier Jour du « Camp de Boulogne – Légion d’Honneur » version algérienne :
en vert avec surcharge rouge. Une façon, peut-être, de rappeler que le fameux Abd el-Kader,
longtemps ennemi juré de la France, avait reçu la grand-croix de la Légion d’Honneur
pour avoir sauvé la vie de plusieurs milliers de chrétiens lors des émeutes de 1860.

 

Mais qu’est-ce que la Légion d’Honneur ?

Kellerman

Autographe du général Kellerman, grand officier de la Légion d’Honneur,
datant de 1802 : l’ordre existait… avant la médaille.

 

Pas seulement une décoration, en tout cas : c’est ce que l’on peut comprendre en regardant une lettre autographe du général Kellerman, fier de son titre de Grand Officier de l’ordre. Portant au verso le cachet du 16 vendémiaire an XI, soit 7 octobre 1802, elle montre que la Légion d’Honneur existait bien avant la remise des premières médailles.

Dès 1802, en effet, le Premier consul avait eu l’idée de créer une structure dans laquelle se retrouverait l’élite de la République. Napoléon allait s’en servir comme d’un formidable moyen de rassemblement civil et militaire autour de sa personne.

Militaires valeureux, bien sûr, mais aussi hommes de sciences renommés, inventeurs, artistes, administrateurs ou même simples citoyens s’étant signalés par un acte de courage ou de civisme se trouvaient ainsi rassemblés en « cohortes » régionales : lors de leurs réunions, l’homme de troupe pouvait ainsi traiter sur un pied d’égalité avec le maréchal d’Empire, le propriétaire terrien converser avec l’académicien ou le savant. Napoléon, qui se méfiait de l’écran qu’un système trop bureaucratique pouvait dresser à travers la Légion d’Honneur un excellent moyen d’être toujours à l’écoute des forces vives de la nation.

Fin

Une lettre émanant de l’administration des mines de l’ile d’Elbe.
Napoléon avait rendu la Légion d’Honneur
propriétaire des biens nationaux qui n’avaient pas été rachetés :
il en attendait un travail de bonification et d’exploitation de richesses laissées à l’abandon.

 

Certes, il fallut bien quelquefois savoir composer entre l' »honneur » et le sens de la parole donnée. Ainsi, les premiers légionnaires, qui en recevant leur distinction avaient prêté serment de fidélité jusqu’à la mort à la République… durent presque aussitôt jurer une foi indéfectible à l’Empereur – on sait qu’au camp de Boulogne, le général Augereau, républicain convaincu à l’époque, refusa de se présenter à l’appel de son nom pour recevoir sa médaille.

Que l’institution se soit vite révélée un succès, il suffit, pour s’en convaincre, de regarder la collection des timbres de France : même si tous n’arborent pas leur croix, leur ruban ou leur rosette, la majorité des « personnages célèbres » de chez nous en sont membres. Au point que l’on peut même retracer philatéliquement l’évolution de la décoration.

Car la médaille, elle-même, a subi de nombreux changements au cours de l’Histoire. Normal, puisque cette création napoléonienne a survécu à la chute de l’Empire. En montant sur le trône, Louis XVIII, avec la finesse qui chasser des mémoires les dix années d’épopée que venait de vivre la France ; la meilleure manière de ne pas diviser le peuple était d’intégrer à la monarchie ce qui, de l’ère napoléonienne, pouvait l’être. En rétablissant les anciens ordres chevaleresques abolis par la Révolution, il eut garde de ne pas supprimer la Légion d’Honneur pour autant. Mais comme il ne pouvait tout de même pas distribuer des décorations à l’effigie de l’empereur, il la fit remplacer par celle… d’Henry IV. Après lui, le « profil de médaille » valsera encore plusieurs fois, au gré des changements de régime. Depuis 1870,c’est la Marianne républicaine qui prête le sien : version définitive ? Preuve en tout cas qu’entre gravure de timbres et gravure de médaille il existe une certaine communauté de pensée : avec son nez bien dans le prolongement du front et son gros menton rond, elle ressemble comme une sœur à notre bonne vieille Cérès.

Paru dans Timbroscopie n° 93 – Juillet-Août 1992

Le jour où Napoléon décora 2000 braves de la Légion d’Honneur
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Recent Comment

  1. larbepenet gerard

    j ai une gravure ‘edition pellerin’ intitulee napoleon au camp de boulogne.Elle represente napoleon remettant la legion d honneur aux grognards de la garde imperiale.vous avez des infos contactez moi O322325445.

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