Algérie : les dix pièces majeures de la collection Zoummeroff Algérie, Expression française, Pays de A à I

Une

« L’Algérie de Philippe Zoummeroff » :  au musée de la Poste de Paris, se tenait la passionnante rétrospective de la plus grande collection jamais réalisée sur le thème de l’Algérie. Collection restée intacte grâce à une dation (règlement de succession) effectuée au profit intégral du musée. Timbroscopie a demandé à l’auteur de cette œuvre monumentale de sélectionner parmi les trente-­quatre volumes et quinze mille documents réunis, dix pièces majeures. Voici le choix de Philippe Zoummeroff : la rareté et l’intérêt philatélique se mêlent à la valeur du témoignage. Un concentré de haute collection, évoquant dans toute sa diversité l’une des périodes les plus riches de l’histoire postale.

 Première marque connue

Premiere

 

 

Cette lettre adressée en 1784 à Grenade-sur-l’Adour, petite ville des Landes, porte la première marque postale d’Algérie. Une marque espagnole, car l’Espagne occupait alors Oran (depuis 1732 jusqu’à 1791). Charles ab der Halden, le grand spécialiste de l’Algérie il y a un demi-siècle, signalait en tout et pour tout trois pièces de ce type (sur lettres datées de 1749, 1781 et 1785). Mais il n’avait pas encore rencontré celle-ci. Observez en haut (et à l’envers) la marque manuscrite « déb. de Grenade ». Ce « déboursé » signifie que la lettre n’a pas – du moins dans un premier temps – trouvé son destinataire : le facteur de Grenade, n’ayant pu percevoir la taxe de port dû, il l’a comptabilisée en « déboursé ».

 

 

 

« Nos troupes doivent entrer dans la ville à midi »

TroupesCôté marcophilie : la première marque postale de la présence française. Côté histoire : un témoignage passionnant sur la prise d’Alger, le 5 juillet 1830.
Flash back. Après le « coup d’éventail » donné par le dey Hussein au consul de France à propos d’une sombre affaire de créances, le roi Charles X ordonne un blocus naval puis une expédition militaire contre Alger. 37 000 hommes débarquent le 14 juin 1830 à Sidi-Ferruch et se dirigent vers Alger.
« Hier à 2 h du matin, nos batteries ont commencé à battre en brêche le fort de l’Empereur » (ancien nom donné à Alger en l’honneur de Charles Quint), écrit le 5 juillet un officier du quartier général d’Afrique. « Une forte détonation suivie d’une commotion terrible que l’on a ressentie à quatre lieues à la ronde, s’est fait entendre. C’était le fort qui venait de sauter. Nos ennemis sont dans la plus grande consternation. Le dey a envoyé trois parlementaires. Notre général en chef a répondu qu’il fallait qu’il livrât les clefs de la ville et tous les forts, que si avant midi (aujourd’hui) il n’accédait pas à ces conditions, la canonnade allait recommencer… »
Une ligne sous la signature : « nos troupes devraient entrer dans la ville à midi ». Le 5 juillet 1830, Alger était prise par des soldats qui avaient pour la plupart servi la Grande armée, et rebaptisait la ville Fort-Napoléon.

 

Vous avez dit « Tanger-Algérie »?

Tanger

Tanger-Algérie : le surprenant libellé de cette oblitération découverte dans les années 1950 fut d’abord considéré par les spécialistes comme une erreur sans fondement. Pourquoi donc avoir situé le port marocain en Algérie ?
Jusqu’à ce qu’il découvre cette lettre, P. Zoummeroff n’avait pas non plus élucidé la question. Mais tout s’éclaire ici, grâce à un enchaînement d’oblitérations qui permet de reconstituer le fonctionnement d’un circuit postal dont aucune étude n’avait conservé la trace.
Observez l’encre bleue du cachet Tanger-Algérie, au dos : c’est la même que celle de la marque administrative « légation de France au Maroc ». Observez ensuite le cachet rouge au recto : Tanger-­Oran.
Voici donc l’explication : l’oblitération prétendue erronée était en fait utilisée par la légation française au Maroc pour le courrier expédié en Algérie par voie maritime.
Les dates confirment. 3 mai 1878, départ de Tanger. 4 mai, arrivée à Oran (« Tanger-­Oran »). Puis vient l’acheminement vers la France. 6mai : départ d’Oran (« Oran-Algérie » en noir). 10 mai : Marseille (« Bouches-du-Rhône ») et arrivée à Nice. 11 mai : distribution à Nice.
« Il y a tout dans cette pièce, commente Philippe Zoummeroff, la rareté, la découverte, la valeur documentaire pour l’historien de la Poste… »

 

Premier jour algérien

PremierJour

Le 4 janvier : c’est la première date connue sur les timbres au type Cérès, mis en service en Algérie comme en France au début de 1849.
La collection inclut aussi un Vermillon oblitéré du 17 mars 1849, ainsi qu’un tête­bêche du 20 c noir annulé en 1850. Mais Philippe Zoummeroff ne leur reconnaît pas le statut de pièce « princeps » dévolu à ce timbre détaché, aux marges trop courtes. Il faut savoir, du reste, que les oblitérés algériens de cette époque sont tous rares. Le timbre n’entra que très lentement dans les mœurs, les lettres non affranchies représentant pendant plusieurs années l’essentiel du courrier. De plus, à cause des grilles muettes en usage du 16 janvier 1849 à la fin de 1851, il est impossible d’identifier la plupart des exemplaires détachés.
On comprend mieux la valeur d’une telle pièce, oblitérée avec un cachet-dateur avant la mise en service de la grille.

 

 

Constantine Moulins Paris

Constantine

Le cachet de la poste de Constantine, 24 janvier 1871, en témoigne : cette lettre de moins de quatre grammes est affranchie à 1 F, comme le requièrent les dispositions spéciales, quitte l’Algérie pour Moulins. Où elle doit être immergée dans la Seine, à l’intérieur de l’une de ces boules à ailettes censées descendre le courant et parvenir jusqu’à Paris, à l’insu de l’assiégeant allemand.
Une « boule de Moulins » d’Algérie : une très grande rareté, bien sûr, mais aussi un témoignage historique sur les échos que le Siège de Paris faisait entendre jusqu’en terre d’Afrique. Les Algériens connaissaient les événements de la capitale par les journaux sortis de la ville en ballon monté et adressés en Algérie. La collection Zoummeroff compte en particulier des exemplaires de la Gazette des absents ainsi que des pigeongrammes au départ d’Algérie.
Quant à ce document, il est parvenu trop tard à Moulins pour être immergé dans la Seine. L’Administration avait décidé entretemps de mettre un terme à l’expérience. La lettre a donc circulé par voie de terre, puis est probablement entrée dans Paris en fraude, dans des sacs de riz destinés à ravitailler Paris (oblitération du 12 février à Paris).

 

Une griffe pour 300 habitants

GriffeSidi Ali : un village à cinquante kilomètres de Mostaganem, comptant trois cent vingt-six habitants en 1876. Le pli date des tout premiers temps de la création de cette localité. L’Algérie est alors en pleine expansion : après une violente insurrection en 1871-72, répercussion algérienne des bouleversements politiques de métropole, la IIIe République s’est lancée dans une politique d’assimilation, conduite en Algérie par le général Chanzy, à la fois gouverneur général et commandant de l’Armée d’Afrique.
C’est l’époque où débarquent, en Algérie, les premiers colons venus d’Alsace et de Lorraine, après l’occupation allemande. Ce sont eux qui peuplent les nouveaux villages, et seront rejoints plus tard par les viticulteurs du midi.
Les bureaux de Poste se multiplient au rythme de la colonisation. De manière parfois anarchique, certains bureaux de petite importance. n’apparaissant même pas dans les textes officiels. Sidi Ali est alors un bureau de distribution, c’est-à-dire un établissement auxiliaire rattaché à une recette – celle de Mostaganem.
D’après la nomenclature officielle, Sidi-Ali aurait dû recevoir un « gros chiffre » (n°5167). Mais on ne connaît aucune oblitération de ce type (le catalogue Pothion Petits et gros chiffres appose un point d’interrogation en face de ce numéro). Quant à Abder Halden, il avouait, en1949, ne connaître aucune marque, quelle qu’elle soit, de ce bureau.
Là encore, Philippe Zoummeroff a fait avancer la recherche. Avec cette lettre partie de Sidi-Ali (griffe caractéristique des bureaux de distribution) et oblitérée à Mostaganem (GC no 5048).

 

El-Affroun retrouve son « gros chiffre »

El-Affroun

L’expert Ab der Halden avouait son ignorance en 1949. La nomenclature officielle attribuait bien, en 1867, le « gros chiffre » no 5131 au bureau d’El Affroun (à une vingtaine de kilomètres de Blidah). Mais il n’avait jamais rencontré cette oblitération sur une lettre de ce bureau. Il la signalait, en revanche, sur plusieurs plis en provenance du bureau de Bon-­Saâda (région de Constantine), pourtant affectée officiellement au n° 5132. L’expert concluait donc: nous tenons le 5131 pour le véritable numéro employé à Bon-Saâda (…).
Quel était le numéro que frappait El Affroun ? La question est posée…
Cette lettre apporte la réponse. La présence côte à côte du « gros chiffre » et du cachet à date prouvent que le 5131 appartenait bien à El Affroun.

 

En suivant le nouveau chemin de fer

ChemindeFerDe la même époque (1875) que la griffe de Sidi Ali : un rarissime cachet de « convoyeur-station », témoin de la construction des premières lignes de chemin de fer en Algérie.
Rappelons le principe d’utilisation de ces oblitérations au pourtour ondulé. Elles étaient employées à l’intérieur des trains par les « courriers­-convoyeurs », qui réceptionnaient et distribuaient le courrier dans les stations de chemin de fer. Les préposés, logés dans des compartiments ordinaires, étaient en fonction sur les petites lignes du réseau, dans les trains qui ne disposaient pas de wagons ambulants réservés au tri du courrier. Leurs cachets oblitérants étaient démontables : la partie centrale, fixe, indiquait en abrégé les deux terminus de la ligne ; la couronne extérieure, changée à chaque station, indiquait la localité où le courrier était pris en charge.
Les Attafs étaient une petite station de la ligne Alger à Oran. Le village possédait un bureau de « distribution-entrepôt » (le bas de l’échelle administrative) où a été apposée la griffe oblitérante. Cette griffe aurait dû, en principe, être frappée à côté du timbre, l’annulation intervenant à l’arrivée. D’où la superposition avec le « gros chiffre » d’Orléans ville(n° 5052), le bureau de destination.

 

Premier timbre spécial

PremierTimbre

Il cotait 0,50 Fil ya quelques années. Il a franchi dignement la barre symbolique du franc, en 1989. Il fait partie de ces timbres sans histoires, émis sans péripéties. Mais c’est le premier timbre spécifiquement créé pour l’Algérie. Honneur à lui, donc, parmi les dix pièces historiques de la collection.
Sa date de naissance : 1er juillet 1924. Le projet couvait depuis des années. Des députés algériens en avaient saisi le Parlement français dès 1894. L’entrée de l’Algérie au congrès de l’Union postale universelle avec une voix entière, avait précipité les débats, et stimulé les demandes locales. A la chambre de commerce d’Alger, on s’étonnait, en 1923, que « chaque pays, si petit soit-il, ait son timbre, qu’il soit indépendant, colonie, protectorat, possession française ou anglaise, de la Guadeloupe, de la Martinique, de Madagascar… » Et l’on faisait valoir que  » l’existence d’un timbre algérien créait un mouvement de vente considérable chez les philatélistes et servirait largement la propagande touristique et commerciale. »
Alors que le statut départemental de l’Algérie ne l’impose pas, l’Algérie est donc dotée de timbres spéciaux.
Et en attendant l’émission de la première série touristique, pour laquelle un concours est lancé, on appose la surcharge « Algérie » sur trente-trois timbres de France. Le premier, dans la sacrosainte numérotation des catalogues, est 1/2 c au type Blanc.

 

Le plus rare des colis postaux

ColisPostaux« De l’avis de plusieurs négociants, explique Philippe Zoummeroff, il n’existerait que quatre exemplaires tête-bêche du n°7A des colis postaux. Or, vous en trouverez quatre dans la dation, et j’en ai par ailleurs rencontré un cinquième ».

Légitime fierté du spécialiste qui, au cours de quinze ans de recherches, a vu « toutes les pièces ». Et rectifié au passage les erreurs du catalogue. Ainsi, selon Philippe Zoummeroff, I’Yvert et Tellier se trompe en donnant à la version surchargée de ce timbre (« contrôle répartiteur ») une cote presque double de celle sans surcharge. Le rapport de rareté – et de valeur – devrait être inversé.

Quoi qu’il en soit, avec ou sans marque de contrôle, voici deux pièces parmi les plus rares de la collection. Il s’agit vraisemblablement de non émis. Le tête-bêche est toujours situé au même emplacement, case 45.

Paru dans Timbroscopie n° 61 – Septembre 1989

Algérie : les dix pièces majeures de la collection Zoummeroff
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