Yougoslavie, 1941-44 : un pays neuf dans les tourments de la guerre Europe, Pays P-Z, Yougoslavie

Une

Ouv01

La guerre des blocs
En haut, Saint-Sébastien illustre un bloc de la « Croatie indépendante », c’est-à-dire du gouvernement vassal mis en place par Hitler. En bas, six grandes figures de l’histoire yougoslave illustrent un bloc du gouvernement royal en exil à Londres. L’ancien pouvoir chassé au début de la guerre distribuait ce bloc aux diplomates et marins yougoslaves à l’étranger. A l’unité, ces timbres d’exil (non cotés dans les catalogues) ne sont déjà pas communs. En blocs, ils sont rares.

 

Ouv02Le plus rare des blocs de Croatie, émis peu avant la chute du « soi-disant gouvernement croate »,
comme disaient alors les Yougoslaves. Cote:6000F.

 

 A peine a-t-elle pris son nouveau nom que la Yougoslavie plonge, en 1941, dans le calvaire de la guerre. Vingt ans plus tôt, les timbres témoignaient de la difficile constitution du royaume des Serbes, Croates et Slovènes. Cette fois-ci, ils racontent le démembrement brutal de ce pays fragile. Encore une collection surchargée d’histoire.

Depuis la constitution du Royaume des SHS, les différentes composantes du nouvel Etat apprennent difficilement à vivre ensemble. Les tensions internes vont aboutir à l’assassinat du roi Alexandre, abattu à Marseille avec Louis Barthou, ministre français des Affaires étrangères, au début d’un voyage officiel qui devait consolider les liens entre la Yougoslavie et la France face à la montée des totalitarismes.

Pierre, le jeune héritier n’ayant que onze ans, la régence échoit à son oncle, le prince Paul qui, très vite, va afficher ses sympathies pour l’Allemagne hitlérienne. Il va même adhérer au Pacte tripartite rangeant clairement la Yougoslavie dans le camp de l’Allemagne, de l’Italie et du Japon. Quant la nouvelle de cette adhésion parvient à Belgrade, une explosion populaire éclate; on crie « Necémo pakt, hocemo rat!’ (« Plutôt la guerre que le pacte! ») ; l’émeute devient vite menaçante et le prince Paul doit s’enfuir.

Le jeune héritier qui va avoir dix-huit ans, devient le roi Pierre Il. La réaction de Hitler est fulgurante. Après un violent bombardement aérien qui écrase Belgrade faisant des milliers de morts (6 avril 1941) la Wehrmacht envahit la Yougoslavie. Hongrois, Bulgares, Italiens se ruent à la curée. En quelques jours, l’armée yougoslave est écrasée, d’innombrables soldats et officiers capturés qui vont aller rejoindre en Allemagne les prisonniers français victimes de la débâcle de juin 40.

Commence alors pour la Yougoslavie un calvaire de quatre ans au cours duquel les partisans vont infliger à l’occupant des coups déterminants pour l’issue de la guerre mondiale. De plus, l’ultime sursaut de ce petit peuple aura bouleversé les plans de Hitler et retardé l’invasion de la Russie, la sauvant peut­être du désastre.

Le royaume est dépecé. Certaines provinces sont annexées par les vainqueurs, d’autres durement occupées, d’autres mises en tutelle. La Croatie, elle, reçoit un traitement particulier : elle devient indépendante sous la houlette du « poglavniK » (fuhrer). l’oustacha Ante Pavelic, qui hait les Serbes et réserve sa sympathie au nazisme.

Sur le plan philatélique, le traitement des différentes régions de l’ancien royaume va se révéler fort diversifié selon qu’elles sont annexées, occupées ou protégées.

SLOVENIE

01-06La partie septentrionale de la Slovénie, purement et simplement annexée – provinces de Kärten (Carinthie), et de Steier mark (Styrie)- reçoit immédiatement les timbres allemands courants à l’effigie de Hitler. Une série, en usage dans tout le Grand Reich, fêtera même ce « retour à la mère-patrie »! (1). La partie occupée par les Italiens est administrée par un « Commissariato civile » qui surcharge·d’abord les timbres yougoslaves à l’effigie de Pierre Il avec les initiales Co.Ci. (2), puis avec « R. commissariato civile Territori Sloveni », enfin avec « Alto commissariato per la provincia di Lubiana (3). Très vite, (juillet 1941) les timbres italiens en cours remplacent ces émissions transitoires. Après l’effondrement italien (octobre 1943) les Allemands occupent toute la Slovénie. Les autorités militaires utilisent des timbres italiens en cours frappés de l’aigle allemand et de la mention bilingue « Ljubljanska Pokrajina – Provinz Laibach (janvier-décembre 1944) (4 et 5). En 1944, de nouvelles figurines reproduisant des sites slovènes sont imprimées spécialement pour la province de Ljubljana. Elles ne seront utilisées que quelques mois… pour cause de libération (6).

Enfin, le Prekmurje annexé par la Hongrie retrouve les timbres hongrois qu’il avait oubliés depuis 1918 !

CROATIE
Région de Fiume (Rjeka) et de la Kupa (arrière-pays)

07Dès la victoire des forces de l’Axe acquise, les Italiens occupent cette région et surchargent les timbres yougoslaves à l’effigie de Pierre II (mai 1941) (7). Nouvelle opération surcharge en juin 1942. Ensuite, les timbres réguliers italiens sont utilisés jusqu’en octobre 43, comme dans toute la Dalmatie annexée.

 Dalmatie

Lorsque l’Italie abandonne la lutte, les troupes allemandes occupent les régions côtières yougoslaves, notamment la Dalmatie. A Zadar même, les timbres italiens reçoivent des surcharges comme Deutsche Besetzung Zara (occupation allemande Zadar, octobre 43). Dans les îles de Brac, Hvar, Korcula, les occupants provoquent (ou tolèrent?) des surcharges en nombre très limité, donc très rares.

 

Mejumurje

Occupé par les Hongrois, reçoit le même traitement philatélique que le Prekomurje (vignettes hongroises).

 Le prétendu Etat croate indépendant

C’est ainsi que l’appellent les yougoslaves (Takozvana Nezavisna Drzava Hrvatska). Il débordait largement les frontières historiques de la Croatie puisqu’il incluait la Bosnie, l’Herzégovine, le Srem en Slavonie jusqu’aux portes de Belgrade. Par contre, il abandonnait la Dalmatie aux Italiens, leurs « protecteurs ». Sur le plan philatélique, les émissions croates de 41-45 sont très intéressantes, tant par leur diversité que par les variétés et les bonnes valeurs nombreuses.

08-1011-121314Dès le 12 avril 1941, six séries de timbres yougoslaves en cours sont surchargées (8 à 10) ; on remarquera notamment l’emploi des armes croates pour masquer le visage de l’ex-jeune roi. Très peu de temps après et durant trois ans une série sortira qui reproduira les sites les plus prestigieux de Croatie. Cette série comporte de nombreuses erreurs, variétés de papier et d’impression, tels ces deux tête-bêche (11, 12). La Croatie du poglavnik Ante Pavelic tient à prouver qu’elle est un véritable Etat : elle multiplie les feuillets, les séries spéciales (13), les timbres à la gloire de la jeunesse, du travail, de l’armée, des héros, les vignettes commémoratives, les timbres à surtaxe, se montrant à ce point de vue très en avance sur les usages philatéliques de l’époque (14). En 1943, enfin, une série reproduit l’effigie du « chef » casquetté à la Hitler, son modèle (15). Les émissions se multiplient : sent-on à Zagreb que la durée de l’Etat « indépendant » est comptée ? Les premiers blocs en l’honneur de la Légion (comprenez anti-bolchévique) apparaissent (16) suivis de nombreux autres, perforés ou plus rarement non-perforés. La reproduction d’un seul exemplaire de chaque série occuperait tant de pages qu’il nous faut nous limiter à la seule célèbre trilogie des Divisions de choc (udarne divizije) qui atteint une cote exceptionnelle (voir page précédente).

1516Six mois après l’émission de ce bloc le régime était balayé par les partisans yougoslaves et le passage en dernière heure de l’Armée rouge.

 SERBIE

La Serbie est punie par Hitler pour avoir été l’âme de la révolte contre le pacte. Elle est réduite à sa plus simple expression et placée sous la responsabilité du général Milan Nedic, qui ne fera qu’appliquer les ordres de Berlin.

17

18-1920-21Dès le 5 juin 1941, l’occupant fait surcharger les timbres en cours (cinq séries) d’une inscription en allemand : Serbien (17). En septembre apparaissent de nouveaux timbres bilingues (18) puis une série pour les prisonniers (19) qui présente de nombreuses variétés, dont certaines cotent très bien. Cette série de bienfaisance reproduit un motif de fresque d’un monastère, situé en zone d’occupation bulgare ! (Nerezi, non loin de Skopje). Puis quatre timbres sont consacrés à une exposition antimaçonnique (20), suivis d’une série reproduisant sept des plus célèbres monastères serbes (21). Quelques timbres à l’effigie de Pierre II sont encore utilisés (avec surcharge) avant une série pour les invalides ( 22) d’une qualité médiocre : la Serbie était bien pauvre alors ! Le centième anniversaire de la Poste serbe est cependant commémoré par un feuillet misérable avant une reprise des monastères surchargés de quatre lignes stigmatisant le bombardement de Nis (Nich) par… les Anglo-Américains! (23). On est à la fin de 1943. Puis plus rien jusqu’à la Libération. Il est vrai que la dure vie faite aux Serbes ne devait pas favoriser la consommation postale !

22-23Précisons que la Backa et le Banat utilisent pendant toute la guerre les timbres de leurs occupants. Il en fut de même pour le Kossovo et la Metohija rattachés à la Grande Albanie mussolinienne !

 MONTENEGRO

24-2526-27La plus grande partie du Monténégro est placée sous l’autorité d’un gouverneur italien. De juin 41 à mai 43, les postes utilisent des timbres anciens, soit yougoslaves (24) soit italiens (25), les uns et les autres surchargés Montenegro-Crna Gora en cyrillique (UPHATOPA), puis Governatorato del Montenegro-Valore (in) lire (six séries). Le 9 mai 1943, une série originale imprimée à Rome illustre la Couronne des montagnes, œuvre du prince­évêque-poète national, Petar Petrovié Njegos (26). Certaines de ces figurines sont très belles. Plus belles que la série suivante : le Montenegro vu d’avion (27).

28-29Mais en novembre 43, l’administration militaire allemande prend le relais. En dehors des timbres italiens surchargés à Podgorica (aujourd’hui Titograd), des séries yougoslaves d’avant-guerre (Pierre Il) et montenegrine du début 1943 reçoivent des tampons en allemand (28, 29), (Administration militaire allemande). Ces timbres seront utilisés jusqu’au départ des troupes allemandes.

 Bouches de Kotor (Boka Kotorka)

30Annexées par l’Italie, les­bouches de Kotor utilisent les timbres italiens de 1941 jusqu’à l’effondrement italien. Des timbres italiens et yougoslaves sont surchargés par l’administration militaire allemande (30). Leur usage sera aussi éphémère.

MACEDOINE

31Annexée par la Bulgarie en avril 41, la Macédoine est approvisionnée en timbres bulgares. Après la défaite bulgare, les Allemands inventent un Etat macédonien indépendant qui surcharge une série bulgare (8 septembre 44) (31). L’usage de ces timbres durera autant que la présence allemande dans le pays.

Et pendant toute la durée de la guerre, le gouvernement du roi Pierre, en exil à Londres, fait imprimer des timbres à l’usage de ses fidèles. Certains de fabrication anglaise sont très beaux. Les derniers, percés en ligne, ne figurent sur aucun catalogue…

Puis viendra la Libération… avec ses émissions locales plus ou moins officielles.

Mais ceci est une autre histoire !

 Si Tito…

TitoSi l’Armée rouge n’avait pas libéré Belgrade, si Tito n’avait pris la tête du nouveau pouvoir, le jeune Pierre Il, fils de l’ancien roi Alexandre assassiné à Marseille aurait sans doute régné sur la Yougoslavie.

Même les timbres, imprimés à Londres, étaient prêts pour le retour du prince dans son pays.

Le timbre ci-dessus, en bas, appartient à une série de huit (dont quatre surchargés Croix-Rouge); le second, ci-dessus en haut, à une série de neuf essais de couleur, tous à la même faciale (1 dinar).

Paru dans Timbroscopie n° 59 – Juin 1989

Yougoslavie, 1941-44 : un pays neuf dans les tourments de la guerre
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